Épisode 2
« C’est notre fierté » : dans son quartier d’Évry, le rappeur Niska a aiguisé sa faim de « charo »
Rappeurs, là où tout a commencé Ép. 1/5




Le 28 juillet 2025 à 11h05, modifié le 1 août 2025 à 11h17

Le 28 mai, SDM débarque au Colorado à… Clamart (Hauts-de-Seine). C’est comme ça qu’on surnomme, à la cité de la Plaine, le terrain multisport estampillé « Color’ado ». « D’un coup, il y a eu un attroupement de jeunes. Je me suis dit : mais qu’est-ce qui se passe ? » rembobine une locataire quadragénaire, « trop vieille » pour connaître SDM.
Le rappeur de 29 ans, qui cette année a rempli deux Accor Arena, enflammé les Zénith comme les festivals, ouvre le coffre d’une berline old school. Puis offre 140 maillots du PSG aux gamins. Une belle opération marketing pour Nike à trois jours de la finale de la Ligue des champions. Et un beau geste de l’artiste. « SDM n’oublie pas d’où il vient », remercie Ramata, 15 ans.
À son âge, son « chanteur préféré » faisait ses classes en matière de rimes percutantes tout près de là, à la Garenne. C’est dans cette cité que Léonard Manzambi, fils d’une aide-soignante exilée de Kinshasa (République démocratique du Congo) et d’un producteur de rumba congolaise très souvent absent, a grandi. Une jeunesse aux côtés de trois de ses frères et sœurs mais aussi des oncles et des tantes de passage sous un toit suroccupé.
Ici, le prénom Léonard ne parle à personne. En revanche, tout le monde ou presque a son mot à dire sur « Sadam », son « blaze » attribué à l’adolescence avant d’être raccourci en SDM. Il fait référence au pseudo de l’un des fils de l’ancien dictateur africain Mobutu, un militaire dont la brutalité n’avait rien à envier à celle du tyran irakien Saddam Hussein.
Son immeuble HLM de cinq étages tient toujours debout. Mais le décor a bien changé. Le tramway passe désormais tout près. Des immeubles coquets avec volets verts et bleus sont sortis de terre, drainant les classes moyennes. « À l’époque de l’enfance de SDM, le quartier était beaucoup plus dur, plus sombre », compare Marwan, 40 ans, un technicien fidèle depuis toujours à la Garenne.

Ici, Saddam n’est pas né avec les punchlines et le flow dans le sang. « Il a commencé à rapper vers 13-14 ans », avance son grand frère Karl, de deux ans son aîné.
À la maison, seuls les CD des stars de la rumba congolaise proches du « daron » — Koffi Olomidé, Fally Ipupa, Pepe Kalle — font danser la famille. Mais la passion du petit Léonard, c’est d’abord le foot. Le poster de Ronaldinho sur la porte de sa chambre annonce la couleur. « Il aimait le ballon, il jouait tout le temps dans la cour de l’école », décrit Cyril, 43 ans, qui a été l’un de ses animateurs périscolaires au centre aéré.
Ibrahim, son « poto » en primaire, se souvient d’un camarade « super marrant », « même les profs rigolaient de ses blagues ». Un clown de service également « fort en danse », précise ce consultant en cybersécurité de 29 ans.
C’est durant ses années collège qu’il s’intéresse au rap via les meilleurs ambassadeurs du « 9-2 », dont Booba, Lunatic, les Sages poètes de la rue… Dans son quartier comme celui d’en face, la cité des 3F où il « traîne » souvent, il commence par filmer avec son téléphone ses copains lors de freestyles.
Puis, mis au défi par ses amis de dégainer sa plume, c’est à son tour de « poser » ses mots sur une bande-son. « Il n’a jamais dit à cette époque : je veux devenir rappeur. Il s’amusait juste avec ses potes mais il était doué », relate Karl, le frangin.
En fin de journée, les ados se rassemblent souvent dans la cour et sous le préau de l’école de la cité, sautant, en douce, par-dessus la grille. « On était cachés, on était chez nous », se marre « Soso », 30 ans, en classe une année au collège des Petits-Ponts avec SDM, « bon élève et intelligent ». « On aimait faire des blagues et des petites conneries », finit-il par confesser.

La bande de rappeurs amateurs se baptise Microbe Thug’z (voyou en anglais) façon gangsta rap made in « CLM » (Clamart). Vers 15-16 ans, Saddam monte en gamme sur le plan technique. « Il sortait du lot direct, ça semblait inné chez lui », applaudit Jimmy, quadra au catogan. « On disait toujours qu’il était le meilleur lorsqu’il faisait des sons avec ses potes. Il avait un petit talent mais il ne se prenait pas au sérieux », décrit le vieux pote Ibrahim.
Sur YouTube, on a retrouvé quelques « prods » des Microbe Thug’z. Une tête de plus que ses frères d’armes Didho, Shahin, Rayane, Karam, Mesrine ou Alpha, Sadam interprète « Wesh Clamart, on est toujours là » ou « C’est comme ça que ça se passe. » On le voit avec ses dents du bonheur, diamant à l’oreille, casquette à l’envers, une sacoche en bandoulière ou un maillot de l’AC Milan, son club de cœur après, évidemment, le PSG.
Le grand garçon n’est pas un enfant de chœur. Il finit en garde à vue après avoir piqué un scooter de… livreur Domino’s Pizza ! Au lycée, il décroche en seconde sans le dire à sa mère. Il cède aux trafics. « C’était de la petite délinquance, histoire d’être indépendant. J’ai choisi la facilité plutôt que le charbon. Je pouvais faire de grosses sommes d’argent mais je vivais au jour le jour », racontait-il au Parisien en 2023.
Ses deux aventures dans le monde du travail déclaré (préparateur de commandes chez Amazon et animateur périscolaire) tournent court. « Le seul truc que tu fais mieux que tout le monde et qui est légal, c’est de chanter », lui répètent ses amis.
En 2015, à 19 ans, il s’offre un premier clip sur YouTube avec le rappeur PLK, lui aussi clamartois. Mais le déclic survient en 2018-2019 après le décès, au Congo, de sa grand-mère maternelle chez qui il passait toutes les grandes vacances. La prise de conscience qu’il devait faire « quelque chose » de sa vie. Depuis, il collectionne les disques de platine.
Rien n’arrête l’auteur de « Bolide allemand » qui fait souvent une halte dans sa cité. « Humainement, il est toujours pareil, on joue encore au foot, il ne se prend pas pour une star malgré son statut, il est normal, tu rigoles grave avec lui », applaudit Ibrahim, l’ex-camarade du cours moyen. « Il est aimé parce que c’est un bon gars, loyal », valide Marwan l’ancien.