Épisode 2
L’affaire Marguerite Steinheil, l’histoire d’une « veuve scandaleuse » accusée d’un double meurtre
Ces crimes marquants du début du XXe siècle Ép. 1/6





Épisode 5
À lire prochainementPar Denis Courtine
Le 17 juillet 2025 à 11h11, modifié le 22 août 2025 à 15h45

Le Parisien vous replonge cet été dans des faits divers franciliens qui ont captivé les lecteurs du début du XXe siècle. Une série en cinq épisodes, réalisée en collaboration avec Retronews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.
Rocambolesque, drôle, séduisant, machiavélique, pervers. Quel adjectif correspondait le mieux à Alain Bernardy de Sigoyer ? Difficile à dire. Ce dont on est sûr, en revanche, c’est qu’il a fini ses jours en meurtrier. La tête coupée.
Peu de temps après la libération de Paris, cet escroc international, qui collectionnait les méfaits autant que les conquêtes féminines, est guillotiné à la prison de la Santé à Paris (XIVe). La nouvelle fait grand bruit dans le pays.
Car quelques mois plus tôt, le public s’était régalé en suivant le procès de Bernardy, qui sera condamné à mort pour avoir étranglé sa femme sous les yeux de sa maîtresse. Des audiences abondamment couvertes par les journaux de l’époque, toutes tendances politiques confondues. Pourquoi ? Parce que l’accusé était, selon la terminologie journalistique, un « très bon client ».
Déjà par son style. Quand il se présente le 19 décembre 1946 à la cour d’assises de la Seine, face à un auditoire plein à craquer, Alain Bernardy de Sigoyer « fait sensation », selon le journaliste de l’Aurore couvrant le procès. Sa moustache « à l’impériale » est « trop surannée pour ne pas amuser les spectatrices ». Il est vêtu d’un « élégant pardessus beige », et semble « très digne » « avec un regard très droit sans affectation ». Sur la photo publiée dans le journal, on voit l’accusé se tenir les deux mains du bout des doigts, comme un intellectuel s’apprêtant à développer sa pensée.
En réalité, Alain Bernardy de Sigoyer est avant tout un voyou. À 42 ans, ce faux marquis en est à sept condamnations. « Et encore suspecte-t-on son casier judiciaire de n’être pas complet », y va gaiement le chroniqueur judiciaire. « La première fois, j’avais 17 ans, se raconte l’accusé. Et l’on m’a mis en prison ! » Même son accent fait son petit effet. « Il surveille sa diction, mord sur les syllabes en estompant les r », remarque le journaliste.
La spécialité de Bernardy, c’est l’escroquerie. Plus exactement la carambouille, une arnaque semblable à la cavalerie et consistant à contracter des prêts sans jamais les rembourser. Il serait ainsi fiché en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, en Roumanie, en Bulgarie, en Italie et en Espagne. En 1931, pour éviter la prison, il se fait passer pour fou. Et ça marche. Il est interné. Mais apparemment, cela ne vaut pas vraiment le coup.
Il s’évade (il y parvient deux fois avec la complicité d’une de ses maîtresses). « Quand on est enfermé, monsieur le président, on pense toujours à s’en aller, philosophe-t-il à l’audience. J’avais commis la faute de simuler la folie. J’ai vite compris que c’était mille fois plus dur d’être reconnu irresponsable que de faire de la prison. Comme j’avais écrit au procureur, les médecins ont conclu que je m’étais moqué d’eux et ils m’ont sauvagement torturé. » Le magistrat s’étonne : « Mais c’est vous qui avaliez des clous ! »
Pendant ses périodes de liberté, Bernardy assouvit sa passion de la magie et ouvre même plusieurs écoles en Europe. Un don pour la prestidigitation dont il use quelques années plus tard quand il est accusé d’avoir séquestré et assassiné dans sa maison de la vallée de Chevreuse (Yvelines) un Américain. Sur place, les enquêteurs retrouvent les papiers d’identité de la victime. Mais pas son corps. Pour le faux marquis, c’est tout simplement que la victime n’a jamais existé. On ne retrouvera jamais le cadavre. Pour son épouse, si.
Jeanine Kergot a été découverte dans une fosse creusée dans le chai de Bernardy, près de l’hôtel particulier acheté par l’escroc à Bercy (XIIe). Ce dernier avait fait fortune sous l’Occupation. Si cette fois le cadavre a été retrouvé, on ne le doit pas à l’époux de la victime mais à sa maîtresse, la bonne à tout faire Irène Lebeau. « De beaux cheveux bouclés, des yeux sans vie, une allure assez vulgaire », la résume le journaliste de l’Aurore.
Face aux policiers, elle craque et raconte tout du crime auquel elle a assisté. Aux assises, elle réitère ses aveux. C’est par jalousie que Bernardy a étranglé sa femme. « Il lui disait : Jure donc que Brisset n’est pas ton amant, raconte la maîtresse à la barre. Elle riait. Je ne te répondrai pas, qu’elle disait. Alors il a tiré sur la corde. Mme Bernardy est devenue violette. Elle est morte tout de suite. »
« Alors que répondez-vous à Irène Lebeau ? » demande le président à l’accusé. « Je n’ai pas commis ce crime, si crime il y a eu. » Sentant la lame de la guillotine se rapprocher de son cou, le faux marquis tente tout de même une parade. Lui le meurtrier ? Certainement pas. Le tueur, c’est Irène ! Et de raconter qu’elle a assassiné son épouse en lui tirant dessus. « Avouez, malheureuse, avouez », l’exhorte-t-il. Et de tenter un coup de poker : « J’affirme que la balle est toujours dans le poumon. »
Vérifier au milieu d’un procès qu’une balle se trouve toujours dans un cadavre, c’est impossible ? Et non, comme le raconte Simone Esprels, du journal l’Humanité. « Quel coup pour Bernardy quand à l’audience de dimanche les experts qui ont exhumé le corps pendant la nuit se sont succédé pour affirmer qu’il n’y avait aucune balle dans le cadavre. » « Je suis absolument stupéfait par ce rapport », a pleurniché l’accusé. « Vous ne pensiez surtout pas qu’on ferait cette expertise si vite », a triomphé le président. Irène Lebeau, qui était poursuivie pour complicité, est finalement acquittée.
Isorni, l’avocat du faux marquis, racontera quelques années plus tard que la nuit qui suivit l’exécution, un homme en grand habit ressemblant à son client frappa à sa porte et lui lança d’une voix d’outre-tombe de terribles malédictions. Il s’agissait d’un comédien payé par Bernardy. Une vengeance post-mortem du magicien du crime. Un dernier tour.