Paris 2024 a changé leur vie Ép. 1/8 

« Allumer la vasque, c’est au-dessus de tout » : un an après les JO, on a réuni Pérec et Riner

SérieÉpisode 1Ils resteront à tout jamais les premiers visages de ces Jeux olympiques. Marie-José Pérec et Teddy Riner sont revenus, à l’initiative du Parisien - Aujourd’hui en France, aux Tuileries, au pied de la vasque qu’ils ont embrasée le 26 juillet 2024.

Par Sandrine Lefèvre et Benoît Lallement

Le 25 juillet 2025 à 18h01, modifié le 29 août 2025 à 11h53

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Teddy Riner et Marie-José Pérec ont vécu un moment historique en portant la flamme olympique lors de la cérémonie d'ouverture des JO de Paris 2024. Le Parisien-DA/Fred Dugit; Arnaud Journois; AFP/Mohd Rasfan
Teddy Riner et Marie-José Pérec ont vécu un moment historique en portant la flamme olympique lors de la cérémonie d'ouverture des JO de Paris 2024. Le Parisien-DA/Fred Dugit; Arnaud Journois; AFP/Mohd Rasfan

Notre série « Paris 2024 a changé leur vie »

Le 26 juillet 2024 s’ouvraient les Jeux olympiques de Paris, une parenthèse enchantée de 17 jours, puis une autre en septembre avec les Paralympiques, qui ont profondément marqué la France et les Français. Nous avons retrouvé des acteurs de ces Jeux pour qui, plus que tout autre, cet événement a changé le cours de l’existence. Des sportifs, mais pas que… Des stars mais aussi des anonymes… Et des anonymes devenus stars. Pour eux, la vie aura à tout jamais un petit goût de Paris 2024.

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« On était placé où le 26 juillet, c’était là, non ? » En ce lundi brûlant de fin juin, Teddy Riner ravive sa mémoire au pied de la vasque, symbole iconique des JO de Paris qui, depuis le 21 juin, a fait son retour au jardin des Tuileries. « Les relayeurs arrivaient tous par là, ils étaient un peu cachés derrière les arbustes et rejoignaient l’allée l’un après l’autre », enchaîne Marie-José Pérec, en pointant l’une des allées. « Nous, on était déjà postés devant la passerelle. »

Un an après la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de 2024, le décor a changé. Les backstages du parc urbain de la Concorde ne sont plus là, mais la magie opère toujours. Au point que lorsque nous avons proposé à Marie-José Pérec et Teddy Riner de revenir là où, le 26 juillet 2024, tout avait commencé, ils n’ont pas hésité.



« Je n’étais encore jamais revenu, on avait vu la vasque le soir, mais même en pleine journée, tu vois bien les flammes ! », sourit le judoka. « Peut-être qu’on était en train de pleurer, c’est pour ça qu’on n’a pas tout vu », poursuit la triple championne olympique. Ce qu’ils n’ont pas oublié, c’est leur réaction en apprenant que Tony Estanguet les avait choisis tous les deux. « Deux Gwada », rit Pérec, en se remémorant. « Tu te rends compte, la Guadeloupe ! », reprend Riner.

L’image de ces deux immenses champions embrasant l’anneau avec leur torche, avant que la montgolfière ne s’envole dans le ciel sur les premières notes de « l’Hymne à l’amour », a fait le tour du monde. Le matin des retrouvailles, le ciel est magnifiquement bleu et, forcément, le souvenir de la pluie, lors de la cérémonie d’ouverture, les fait sourire.

Avant-dernier relayeur, Charles Coste transmet la flamme olympique à Marie-José Pérec et Teddy Riner. Icon Sport
Avant-dernier relayeur, Charles Coste transmet la flamme olympique à Marie-José Pérec et Teddy Riner. Icon Sport

« Tu te souviens de Charles Coste ? », demande Marie-José Pérec à Teddy. Charles Coste, c’est ce cycliste centenaire, champion olympique en 1948, qui, dans son fauteuil, leur avait transmis la flamme. « Il devait être debout, il était finalement assis, car malgré la pluie, il avait tenu à rester deux heures, là, à attendre », se souvient Marie-Jo.

« Il était là et ne bougeait pas, c’était beau, c’était touchant, poursuit Teddy, en désignant l’endroit. Nous, on était comme des fous. Marie-Jo qui répétait tu te rends compte, la fierté ! » Nouvel éclat de rire. « On nous donnait des consignes par oreillette, avec la pluie, on n’entendait pas grand-chose, on s’est quand même bien débrouillés ! »

Vous souvenez-vous du moment où Tony Estanguet vous prévient que c’est vous qui allez allumer la vasque ?

TEDDY RINER. C’était le matin de la cérémonie. La fierté pour ma famille, la fierté pour mon sport, c’est quelque chose. Et on sait parfaitement que ça n’arrive qu’une fois. Dans ma carrière, j’ai été porte-drapeau (en 2016, aux JO de Rio) et j’ai allumé la vasque. C’est au-dessus de tout. Tu donnes le go des Jeux olympiques, devant des milliards de personnes.

Marie-Jo Pérec et Teddy Riner reviennent à la vasque de Paris 2024, un an après les Jeux. LP/Arnaud Dumontier
Marie-Jo Pérec et Teddy Riner reviennent à la vasque de Paris 2024, un an après les Jeux. LP/Arnaud Dumontier

MARIE-JOSÉ PÉREC. Quand j’ai vu son nom s’afficher sur mon téléphone, j’ai commencé à pleurer. Tony savait que j’étais au bout de ma vie, la veille il m’avait prévenue qu’il allait m’appeler. J’attendais, j’étais en stress, je voulais tellement l’allumer cette vasque !

T.R. Ah, tu as obligé Tony en fait (rires) ? Moi, il m’avait dit : Tu seras dans le Top 15. Quand il m’appelle ce matin-là, en vrai je dormais. Je me suis contenu, mais à l’intérieur, j’étais comme un dingue. J’avais envie de sauter partout.

Il vous a demandé de garder le secret ?

T.R. Il m’a demandé de jouer le jeu, en me disant aussi qu’il avait peur qu’on ait un problème de pointure de chaussures. Du coup, lors de la cérémonie d’ouverture, j’ai été le seul idiot sur le bateau à avoir un sac avec moi. Tout le monde me demandait ce que je trimbalais. À la fin de la traversée, un bateau de la gendarmerie se positionne, ils me disent tous : ah c’est toi ! Je réponds que j’ai mal au ventre, je ne me sens pas bien (il rit). C’est sur le chemin qu’on m’explique tout, par oreillette. Je ne savais pas quels étaient les autres relayeurs. La seule qui était venue faire un repérage, c’est Marie-Jo.

Pendant la cérémonie, vous n’avez pas eu envie de vendre la mèche aux autres athlètes ?

T.R. Je voulais que ce soit la surprise, y compris pour mes proches. Mon père est sans doute le seul à avoir été persuadé que ce serait moi. Dans le bateau qui va aux Tuileries, je suis avec Clarisse (Agbégnénou), je me dis, qu’on va peut-être être deux judokas. Seulement, on nous sépare à l’arrivée. On me dit que ce sera Marie-Jo. C’est un filou Tony, jusqu’à la dernière minute, il n’a rien dit.

Et vous Marie-Jo, vous pensiez être avec qui pour l’allumage ?

M.-J.P. Zidane ! (Elle éclate de rire et se tourne vers Teddy.) Tu te souviens, quand on est arrivés, je t’ai dit, je croyais que c’était Zidane, tu m’as répondu : Moi je savais que ce serait toi.

T.R. Il n’y a que toi qui ne sais pas la grande championne que tu es !

Et si ça n’avait pas été vous deux ?

M.J. P. Je serais morte ! En allumant la vasque des Jeux, c’est ma médaille de Sydney que je suis allée chercher (en 2000, elle avait quitté l’Australie avant le début des épreuves). Je sors par la grande porte. En plus, ce n’est même pas moi qui l’ai choisie. On l’a choisie pour moi.

T.R. L’enfant que j’étais au moment des JO de Sydney se souvient de comment ça s’est passé. Tu aurais remporté la médaille, je pense que tout le monde le sait.

M.-J.P. Le problème, c’est que je n’étais pas là… Les absents ont tort.

Marie-Jo, le lendemain de la vasque, vous avez dit : « On était un homme et une femme, deux Guadeloupéens, deux Noirs. » C’était important ?

T.R. Moi, je ne vois pas ça comme ça. On a marqué par notre palmarès l’histoire de notre discipline, l’histoire du sport français. C’était mérité.

M.-J.P. Toutes les fois où j’ai gagné, c’est parce que je voulais démontrer quelque chose. J’ai grandi dans une maison où ma mamie était engagée sur ces trucs-là. Si je perdais, ça signifiait que j’étais invisible. Montrer qu’on est là, qu’on sait faire des choses, c’est important. Teddy, tu es plus jeune, c’est peut-être ma génération qui voit les choses différemment. Quand on est arrivés en métropole dans les années 1980, il y avait beaucoup de racisme. J’ai besoin de montrer qu’on existe. Quand je vois des images de moi en action, ça me donne une force de malade. Et la Guadeloupe est le département qui apporte le plus de médailles par rapport au nombre d’habitants. Quand j’avais 15 ans, on assimilait les Antillais à la fête. Grâce à nos médailles, les gens nous regardent différemment.

Marie-Jo Pérec et Teddy Riner posent devant la vasque des Jeux Olympiques de Paris 2024. LP/Arnaud Dumontier
Marie-Jo Pérec et Teddy Riner posent devant la vasque des Jeux Olympiques de Paris 2024. LP/Arnaud Dumontier

Vous permettre d’allumer la vasque, c’était une reconnaissance ?

M.-J.P. C’était historique. Il y avait eu les élections législatives juste avant. C’était important de montrer que la France n’est pas que blanche, qu’elle est multiculturelle. Tony Estanguet a eu du courage. C’est sûr qu’il y a des gens qui ne voulaient pas de cette image-là. Je l’ai remercié.

Était-ce important que ce soit deux olympiens pour ce moment-là ? Beaucoup avaient songé en effet à Zidane…

M.-J.P. Comme Platini avait allumé la vasque aux JO d’Albertville, en 1992, ça ne m’a pas quittée. C’est mon chouchou Zizou, c’est le chouchou de beaucoup, mais je n’avais pas envie qu’il prenne cette place.

T.R. Zizou c’est un monument. Les Jeux olympiques, c’est notre histoire, cette fois c’était notre tour.

Teddy, ce 26 juillet 2024 vous a boosté pour la suite des Jeux ?

T.R. Ça m’a surtout mis plus de pression ! Dès que la vasque a été allumée, je me suis dit : Teddy, il faut que tu switches, parce que le jour où ça va être ton tour, si tu te loupes, on ne va pas te manquer. Il fallait que je me remette vite de cette émotion vécue là.

M.-J.P (Elle se tourne vers Teddy.) Je ne sais pas si les gens ont pris la mesure de ce que tu as fait à Paris. En allumant la flamme, il y a un truc très fort qui se passe, il faut refermer cette porte et en ouvrir une autre pour décrocher une médaille. Toi, tu réalises le doublé (l’or en individuel et par équipes). J’en ai déjà fait un (200 m et 400 m à Atlanta, en 1996), je pense être légitime pour comprendre ce que ça représente.

T.R. Si je n’avais pas fait un gros travail mental, j’aurais perdu tous mes moyens, comme un bon nombre de personnes qui sont dans cette situation-là. La pression, quand elle vous chope, elle vous tétanise. Les flashs sont sur vous, comment vous voulez réagir à tout ça ? Surtout quand il y a quelques jours, vous étiez en train d’allumer la flamme et que, maintenant, c’est votre tour. Les gens se disent quoi ? Va-t-il y arriver ? Va-t-il passer à côté ? Le lendemain, c’est pire, car vous êtes la locomotive d’une équipe et qu’il faut avoir un message pour chacun. C’est un métier, Je vous le dis, c’est un métier (il rit) !

Et la roulette, qui lors du par équipes contre le Japon vous désigne miraculeusement pour le dernier combat, vous l’arrêtez comment ?

T.R. Avec les hackers ! (Il éclate de rire.) Je ne sais pas comment expliquer ça, je ne sais pas moi-même.

M.-J.P. J’avais remarqué que ton corps et tes pieds étaient déjà en direction du tapis.

T.R. Le mental, il n’était pas là. Je vous le dis, je voulais que ce soit quelqu’un d’autre. Quand je vois que c’est moi, dans ma tête, je fais : mince ! Et je vois, mes camarades, comme je suis plus grand, qui me regardent comme ça, allez vas-y. Dans la salle, tout le monde criait ouah, mais rien n’était fait.

M.-J.P. Moi aussi, j’ai fait ouah ! On n’avait confiance qu’en une seule personne.

Est-ce que, comme beaucoup de Français, vous pensez que ces Jeux étaient un moment suspendu, une parenthèse enchantée ?

M.-J.P. On était dans une sorte de bulle de bien-être.

T.R. On était sur un nuage. Au paradis du sport, si on peut se permettre. Ces JO ont changé ma vie. Chaque événement change ma vie. Je ne peux pas dire, celle-là, elle a changé fois dix, fois cent. Là, ça a changé fois dix, fois cent.

M.-J.P. Moi aussi, ça a changé ma vie. Quand je passe devant les écoles, il y a les petits qui disent : c’est la dame qui a allumé la vasque. Avant, c’étaient les vieux qui me connaissaient bien. Maintenant, les petits et les ados viennent me voir aussi.

Marie-Jo, vous n’êtes plus en activité, n’avez-vous pas craint de rater quelque chose de grand en étant seulement dans les tribunes ?

M.-J.P. J’ai profité de tout ! Il y avait des Jeux hors stade, c’est moi qui les faisais (elle éclate de rire) !

T.R. Un jour, je ferai ça ! Encore, moi, après mes médailles, j’ai profité. 100 m, 200 m, natation, para, basket, volley… Je me suis fait mon kif.

La vie est-elle compliquée après les Jeux de Paris ?

M.-J.P. Ah non, je m’éclate comme une dingo, tout ce que je fais depuis !

T.R. Moi aussi, l’après-Jeux a été un vrai kif, un pur bonheur. Comme après chaque médaille, même si là, ça a été un step au-dessus. Les échanges avec les gens, les larmes de joie. Je suis allée à Budapest lors des Mondiaux de judo, un petit Hongrois était tellement content de faire une photo avec moi qu’il s’est mis à pleurer. Je lui ai fait un câlin. L’émotion que l’on peut susciter chez les gens est assez touchante. Ça fait du bien.

M.-J.P. Ça te fait du bien à toi, mais aussi aux gens que tu croises.

T.R. Oui, mais c’est un truc que tu ne peux pas imaginer. À part au foot ou au basket, car tu es sur le devant de la scène. Mais aux Jeux olympiques, dans le sport amateur, waouh, c’est fou.

Que les gens s’intéressent au judo parce qu’il y a Teddy Riner, c’est quelque chose de fort ?

T.R. C’est un devoir de pouvoir faire ressentir ce qu’est le judo, de promouvoir mon sport et la grande famille du judo.

Les images des JO, de la vasque, vous les regardez encore, un an après ?

M.-J.P. J’ai été invitée à pas mal d’endroits, les gens me repassent souvent ce moment du film (le film officiel des JO), où Tony (Estanguet) m’appelle. À chaque fois, j’ai envie de pleurer.

T.R. Moi, dans mon téléphone, j’ai mon moment à voir des Jeux olympiques, de temps en temps, je me le repasse (il nous montre une vidéo, on revoit notamment les images de son sacre). Les images, la musique, tout me fait du bien. (Il s’arrête sur les images d’une soirée au Club France.) Qu’est-ce que j’étais heureux de voir Gilbert Montagné. Quand j’ai vu qu’il était hypercontent de sentir que c’était moi qui étais en face de lui, ça m’a touché aussi. On se faisait des câlins. Sa femme me disait : vous savez qu’il vous adore. Mais moi, aussi je l’adore depuis que je suis petit ! Il nous fait tellement du bien Gilbert Montagné !

Et de savoir qu’il y a plein de personnes qui se repassent les vidéos de vos victoires en se disant « mais quel kif », ça vous fait quoi ?

T.R. C’est dingue. Au moment de France 98, on n’avait pas les réseaux sociaux. J’étais jeune à l’époque, toutes les émotions, toutes les images, elles sont là, dans ma tête. Vingt-sept après, je me souviens de tout. Imaginez ce que sera dans quelques années pour tous ces enfants qui ont vécu les Jeux olympiques de Paris. Ils se diront : En 2024, j’y étais et c’était fou.