Au procès Aristophil, grandeur et décadence d’un empire du manuscrit ancien
Au second jour du procès de cette gigantesque escroquerie présumée à plus de 1 milliard d’euros, les huit prévenus ont été appelés à la barre pour retracer leur parcours. Des « vieux de la vieille » des assurances ou de la vente au porte à porte, dont la justice a peiné à prendre la mesure du patrimoine financier.

Si Aristophil était un empire, ses maréchaux sont tous là : huit crânes grisonnants qui s’alignent deux par deux sur des fauteuils rouge. Leurs places leur ont été précisément assignées par le président de la 13e chambre correctionnelle de Paris, à laquelle ils font face depuis lundi et jusqu’à mi-octobre, jugés pour « escroquerie en bande organisée ».
La plupart ont dépassé les 70 ans. Tous étaient les chevilles ouvrières de cette société spécialisée dans les manuscrits anciens. Créée à l’orée des années 1990 par Gérard Lhéritier, elle avait bâti son succès sur une idée simple : acheter des textes, lettres ou autographes de personnalités littéraires ou historiques, puis les diviser en de multiples parts à la manière d’un bien immobilier pour en faire un pur produit financier. Il avait séduit près de 35 000 particuliers, lesquels ont pour la plupart perdu leur mise de départ.
La chute d’Aristophil, lorsque la justice s’y est intéressée en 2014, s’est soldée par un passif d’1,3 milliard d’euros. 7000 personnes se sont constituées parties civiles, s’estimant victimes de « la plus grosse escroquerie de l’histoire de l’art. » Pour les juges, il ne fait en effet aucun doute que « le modèle économique d’Aristophil n’était pas viable », résume le président du tribunal, et que « l’argent des nouveaux souscripteurs finançait le retrait des précédents ». Une grossière mais impressionnante pyramide de Ponzi, en somme.
Le fils d’un plombier-zingueur devenu richissime
Ses bâtisseurs se sont donc alignés à la barre les uns après les autres, ce mardi, afin de retracer leurs parcours de vie. Pour la majorité d’entre eux, avoir le bac est tout sauf indispensable pour s’inventer un destin, a minima une vie faite de succès financiers. Gérard Lhéritier en est le plus éclatant exemple.
D’Aristophil, il était donc l’empereur et le fondateur. Sanglé dans un costume bleu royal, ce fils d’un plombier-zingueur originaire de la Meuse, 78 ans aujourd’hui, déroule un parcours des plus romanesques. Il quitte l’école en Première pour s’engager dans l’armée, puis intègre un régiment de Dragons – les chars d’assaut – positionné en Allemagne occupée. Là, il lui faut assurer son Opel Manta achetée avec 30 % de ristourne. Les AGF, à Strasbourg, sont les mieux placées. Gérard Lhéritier leur envoie ensuite ses collègues officiers, et prend sa commission au passage. Jusqu’à ce qu’elle soit deux fois plus élevée que sa solde. Gérard Lhéritier quitte l’armée.
Il monte alors divers sociétés, la première dans la vente de diamants – un échec - et les suivantes dans les timbres. Car entretemps, il s’est pris de passion pour les millions de lettres transportées par montgolfière lors du siège de Paris en 1870. « Quand les parisiens mangeaient les rats, les chiens et les animaux du zoo de Vincennes ! » prend-il le soin de préciser.
« Vos chevaux de courses, il y en a pour combien ? »
Il en fait un roman, et déjà « des livres de cotation ». Une première fois, il est condamné pour escroquerie à trois années d’interdiction de gérer. « C’est mon comptable qui avait encaissé des chèques un peu trop vite », se justifie-t-il. Vient alors le temps d’Aristophil. Le succès est cette fois fulgurant, bâti via un réseau de centaines de courtiers qui proposent ce produit au rendement garanti de 8 %. En réalité, il ne l’était que sur les rutilantes plaquettes commerciales d’Aristophil.
Gérard Lhéritier mène grand train, fréquente le gratin du show-biz et de la politique. « Une certaine année, vous aviez pris jusqu’à 4,850 millions d’euros à la société, relève le président. De quoi s’agissait-il ? » « Je suis incapable de vous répondre », biaise Lhéritier. « Ah oui, il faut demander à votre comptable », ironise le président.
Ça tombe bien, l’intéressé est sur le banc des prévenus. « Je n’ai pas la mémoire de ces chiffres, s’excuse-t-il. Faudrait regarder dans les archives… » De la mémoire, il semble en manquer à beaucoup. Pas uniquement à cause de l’âge, ni d’un dossier qui, par la faute de la justice, a mis onze ans à être jugé. À l’heure de retracer le patrimoine de chacun, sur lequel les parties civiles pourraient être indemnisées, leurs nombreux investissements semblent s’être évaporés dans les limbes.
« Vos chevaux de courses, il y en a pour combien ? » interroge un avocat de parties civiles ? « J’ai pas les factures sous la main », balaie Lhéritier. Puis on parle SCI, nue-propriété, déficit foncier, un jargon abscond qui semble destiner à perdre le tribunal. À ce jeu-là, à tout seigneur tout honneur, le notaire de la bande est le meilleur.
« L’encyclopédie Universalis en neuf volumes, c’était l’école du pied dans la porte ! »
Les trois ex-patrons de Finestim, la filiale d’Aristophil chargée de commercialiser les « indivisions », ne sont pas en reste. Là encore, aucun d’entre eux n’a eu le bac. Tous se sont forgés à la force du poignet, vendeurs hors pair qui finiront par piloter l’armée de courtiers de l’empire Aristophil. « J’ai pas le bac. J’ai commencé chez Larousse, développe Michel Péronnet, l’ex-directeur général de Finestim. L’encyclopédie Universalis en neuf volumes, c’était l’école du pied dans la porte ! » « Comme Jean-Pierre Marielle dans Les Galettes de Pont-Aven », approuve le président en connaisseur. « Ah non, lui c’était les parapluies », recadre un avocat.
Au meilleur d’Aristophil, Péronnet pouvait être rémunéré jusqu’à 700 000 euros annuels en commissions, « parfois plus ». Impossible de les retrouver dans ses différents placements immobiliers. « Tout a été vendu, s’empresse-t-il de préciser. J’ai même été accepté en commission de surendettement. Avec cette enquête judiciaire, tout s’est arrêté du jour au lendemain. » « Mais tout l’argent que vous avez gagné, vous l’avez dépensé ? » s’enquiert le procureur. La réponse sera trop floue pour être notée.





