« Bloquons tout » : les petits patrons craignent les débordements
Si certains artisans et gérants de magasins soutiennent le mouvement du 10 septembre, ils n’oublient pas pour autant les dégradations occasionnées lors de certaines manifestations des Gilets jaunes.

Bis repetita, après les Gilets jaunes ? « On espère vraiment que non, soupire ce patron d’un café dans l’Ouest parisien. En novembre 2018, des tables et des chaises avaient valdingué dans notre vitrine. Heureusement qu’il n’y avait eu aucun blessé. Mais on n’a vraiment pas envie que ça recommence avec ce mouvement Bloquons tout. » Il marque une pause, avant de confier presque à voix basse : « Mais entre nous, je peux comprendre la colère. Économiquement, c’est vraiment de pire en pire. »
Une exaspération qui n’est pas propre au secteur de l’hôtellerie et de la restauration. « Au moment de la crise énergétique, en 2022 et 2023, on a beaucoup parlé de la situation des boulangers, étranglés par la flambée des prix du gaz et de l’électricité, rappelle Dominique Anract, le président de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF). Mais vous croyez que depuis, elle s’est vraiment arrangée ? »
Et le patron des boulangers d’égrener les difficultés qui se sont empilées toutes ces dernières années : des prix de l’électricité qui bondissent de près de 50 % en deux ans, des matières premières à l’avenant, des difficultés grandissantes de recrutement, sans parler de l’instabilité politique et économique… « Les artisans n’ont pas les moyens de faire grève pour se faire entendre, conclut-il. Ils veulent juste vivre de leur travail. »
« On n’a pas besoin de ça vu l’état de nos entreprises »
Artisans et indépendants sont sur une même ligne de crête. « Les trois quarts de nos adhérents soutiennent la mobilisation de ce mercredi, affirme Marc Sanchez, le secrétaire général du syndicat des indépendants (SDI). Ce qui ne les empêche pas dans un même temps d’exprimer une forte inquiétude face aux risques de débordements qu’un tel mouvement peut générer. On n’a pas besoin de ça vu l’état de nos entreprises. »
Les casseurs de 2018 et 2019 ont marqué les esprits : « Notre commerce de proximité redoute les débordements de ces mouvements incontrôlés, confirme Michel Picon, le président de l’Union des entreprises de proximité (U2P). La fébrilité du moment pèse sur la consommation, l’emploi et les recrutements vont souffrir de cette mise en berne. Malheureusement, la classe politique continue d’être sourde aux appels à la raison. »
D’autant que le triste seuil des 70 000 défaillances d’entreprises sur douze mois glissants est en passe d’être dépassé. « Le niveau des prélèvements obligatoires n’y est pas pour rien, veut croire Marc Sanchez. Ils ont atteint de tels niveaux que ça bloque aussi bien les investissements que les recrutements. » Résultat : le moral des dirigeants serait « dans les chaussettes ».
Des ressentiments donc, mais pas d’actions coordonnées. « Plutôt des initiatives individuelles, comme le boycott des terminaux de paiement, analyse Laure Brunet-Ruinart de Brimont, la déléguée générale de la Confédération des commerçants de France. Mais évidemment pas de grève ni de rideau baissé. Les commerçants n’ont pas les moyens de faire l’économie d’une journée de travail. A fortiori quand ils subissent déjà la concurrence grandissante de l’e-commerce, notamment chinois. » De quoi expliquer selon elle que le cœur de bon nombre de commerçants sera ce mercredi avec les manifestants.
Même si, avertit Jean-Pierre Gonet, le président de la Fédération des détaillants en chaussures, « la liberté de commercer pèse d’un même poids avec celle de manifester ». Traduction : ne cassez pas notre outil de travail.






