100 ans de communisme en Val-de-Marne Ép. 4/4 

Cent ans de communisme dans le Val-de-Marne : un urbanisme militant qui a voulu « offrir le sain et le beau »

SérieÉpisode 4S’il n’y a pas d’architecture communiste à proprement parler, maires et bâtisseurs ont innové dès les années 1920 pour construire des logements confortables destinés aux classes populaires. Une révolution à l’époque.

Par Agnès Vives

Le 10 septembre 2025 à 08h02, modifié le 10 septembre 2025 à 08h02

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La cité Thorez d'Ivry (en couleurs) a été construite au début des années 1950 ; l'école Karl-Marx de Villejuif en 1932-1933 ;  le centre Jeanne-Hachette d'Ivry (photo aérienne) en 1969. LP/Agnès Vives Le Parisien DA - Archives communales de Villejuif ; LP/Agnès Vives ; RIEGER BERTRAND/HEMIS.FR ; AFP/Jacques Demarthon
La cité Thorez d'Ivry (en couleurs) a été construite au début des années 1950 ; l'école Karl-Marx de Villejuif en 1932-1933 ; le centre Jeanne-Hachette d'Ivry (photo aérienne) en 1969. LP/Agnès Vives Le Parisien DA - Archives communales de Villejuif ; LP/Agnès Vives ; RIEGER BERTRAND/HEMIS.FR ; AFP/Jacques Demarthon

Notre série « 100 ans de communisme en Val-de-Marne »

En 1925, le Parti communiste ne s’appelle pas encore Parti communiste français mais il fait déjà son entrée dans les mairies. Une histoire qui dure depuis un siècle dans certaines communes du Val-de-Marne. Alors que la rentrée politique est des plus brûlantes, et à quelques jours de la Fête de l’Humanité, Le Parisien vous plonge dans ces 100 ans de communisme. Voici cinq coups de projecteur sur des personnalités, des événements ou des idées.

Quiconque se balade dans les villes de l’ancienne banlieue rouge l’a forcément remarqué : la brique, écarlate bien sûr, est encore là, bien présente. Ce matériau de construction typique des logements sociaux dans les années d’après-guerre aurait même inspiré le nom donné à ces cités ouvrières aux portes de Paris.

Mais cet urbanisme dans les villes communistes va se distinguer par une construction jugée « avant-gardiste », en quête d’ « innovation », analyse l’enseignant-chercheur et architecte Marc Benard. « Le couple maire-architecte a à cœur d’offrir à la classe populaire le sain et le beau, résume Anne-Marie Monier, ancienne architecte au CAUE 94 (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement). On retrouve un confort incroyable avec des W.-C. sur le palier, une salle de bains, une cuisine avec des vidoirs… »

La cité Thorez, une construction emblématique

Dans le Val-de-Marne, c’est la cité Thorez, à Ivry-sur-Seine, qui en est emblématique. Encore aujourd’hui, depuis le pont Mandela qui surplombe la Seine, elle s’élève dans le ciel.

Cet ensemble de 400 logements sociaux est « représentatif de cette époque dite de reconstruction où il fallait résorber l’énorme déficit de logements », souligne Marc Benard, qui a étudié la cité avec son agence, pour la rénover de 2014 à 2024.

Ivry-sur-Seine, 1953. Lors de la construction de la cité HLM Maurice-Thorez. Archives municipales d’Ivry-sur-Seine
Ivry-sur-Seine, 1953. Lors de la construction de la cité HLM Maurice-Thorez. Archives municipales d’Ivry-sur-Seine

À Ivry, après la Seconde Guerre mondiale, le résistant Georges Marrane, qui a été élu maire dès 1925, missionne les frères Chevallier pour concevoir un projet de HLM massif, porté par l’Office municipal d’habitation à bon marché (HBM), le bras armé des municipalités pour pouvoir construire. Il y a urgence : plus de 2 200 toits ont été détruits par les bombardements.

Les ascenseurs, une nouveauté qui faisait peur aux enfants

Henri et Robert Chevallier façonnent déjà la ville, avec plus de 1 700 logements sociaux construits depuis les années 1920. Là, ils imaginent une cité verticale, à la fois barre et tour de 14 étages, desservis par des ascenseurs. Une nouveauté qui faisait « un peu peur aux enfants », comme le racontent ces anciens.



Les architectes ont aussi le souci d’apporter du « confort », souligne Marc Benard. Retraçant l’histoire de ce projet d’architecture « remarquable » pour le magazine de l’ANABF (Association nationale des architectes des Bâtiments de France), l’enseignant-chercheur cite un extrait du journal qui énumère la liste des équipements : « Évier en métal inoxydable dans la cuisine, vide-ordures, hotte absorbant les odeurs de cuisine, placards, salle de bains, chauffage central par radiateurs. Il y aura même une innovation sensationnelle : au sommet de la tour de service, une antenne collective de télévision. »

Avec vue sur le parc Thorez, avec leurs coursives, certains appartements traversants disposent d’un ensoleillement permanent. Une cité idéale que les habitants n’avaient cependant plus vraiment en tête ces dernières années, lorsqu’ils ont vu arriver des squatteurs, durant la rénovation.

À Villejuif, l’école Karl-Marx et son rooftop avec solarium

À Villejuif, c’est Paul Vaillant-Couturier, maire de la ville et député de la Seine, qui va impulser dès les années 1930 une politique ambitieuse. Il fait appel à l’architecte André Lurçat. « Il avait théorisé, comme Le Corbusier, un urbanisme qui lutte contre l’insalubrité, avec des constructions entourées de jardins, de parcs, pour que les locataires respirent le bon air », détaille Anne Monier. Témoignage de cette nouvelle architecture : l’école Karl-Marx, qui a été conçue en 1932-1933 après la consultation d’éducateurs, de psychologues, de médecins et d’enseignants.

L'école Karl-Marx a été commandée au début des années 1930 par le maire de Villejuif d'alors, Paul Vaillant-Couturier, et dessinée par l'architecte André Lurçat. Archives communales de Villejuif
L'école Karl-Marx a été commandée au début des années 1930 par le maire de Villejuif d'alors, Paul Vaillant-Couturier, et dessinée par l'architecte André Lurçat. Archives communales de Villejuif

Cette école est l’une des premières à offrir aux enfants de la banlieue parisienne un gymnase, un stade, un toit-terrasse aménagé en solarium, un confort qu’ils n’avaient pas chez eux. Pour Paul Vaillant-Couturier, le groupe scolaire « évoque cette société de la culture et du loisir où les hommes entreront quand ils auront remis le monde à l’endroit ».

Vingt-cinq ans plus tard, André Lurçat achèvera le projet de quartier autour de l’école : la cité Paul-Vaillant-Couturier avec 540 logements, des commerces, des équipements publics, une place…

Jean Renaudie innove avec les terrasses en plein centre-ville d’Ivry

À Vitry-sur-Seine, l’Office des HBM est à la manœuvre. Après la cité des Combattants (454 logements), il confie en 1933 aux architectes Eugène Beaudouin et Marcel Lods (auteurs de grands ensembles comme la cité de la Muette à Drancy, en Seine-Saint-Denis) la construction d’un bâtiment de 137 logements en forme de peigne, avec deux jardins intérieurs et une cour de service, au 21, rue Charles-Floquet. La cité Albert-Thomas est aussi née de ce courant hygiéniste, démarré dès 1925 avec Pierre Périé, premier maire communiste, pharmacien de profession.

Vitry-sur-Seine, le 27 juin 2025. Au 21 rue Charles-Floquet, les architectes Beaudouin et Lods ont imaginé dans les années 1930 un ensemble de 137 logements avec des jardins et une cour de service. LP/Agnès Vives
Vitry-sur-Seine, le 27 juin 2025. Au 21 rue Charles-Floquet, les architectes Beaudouin et Lods ont imaginé dans les années 1930 un ensemble de 137 logements avec des jardins et une cour de service. LP/Agnès Vives

Ce duo maire-architecte se retrouve encore dans ces villes communistes dans les années 1960. À Ivry toujours, avec les architectes qui ont marqué le XXe siècle, Jean Renaudie et Renée Gailhoustet, au temps du maire Jacques Laloë. C’est la métamorphose du centre-ville. La construction des Étoiles, avec notamment le centre Jeanne-Hachette, démarre en 1969. Un ensemble classé depuis 2022, qui est à découvrir à travers des visites guidées lors des prochaines Journées du patrimoine.



Le béton a remplacé la brique mais l’esprit reste le même, selon Anne-Marie Monier : « Renaudie a l’idée des terrasses pour créer du lien social et permettre aux habitants d’échanger, c’est incroyable de modernité. »

Ivry-sur-Seine, 10 octobre 1975. Une vue du chantier du centre Jeanne-Hachette, où tous les appartements seront dotés d'une terrasse-jardin. Archives municipales d’Ivry-sur-Seine
Ivry-sur-Seine, 10 octobre 1975. Une vue du chantier du centre Jeanne-Hachette, où tous les appartements seront dotés d'une terrasse-jardin. Archives municipales d’Ivry-sur-Seine

Et aujourd’hui ? Si la production de logements est plus normée, laissant moins la place à l’innovation, Marc Benard relève que, dans les villes communistes, « quelque chose reste dans l’attitude, l’attention portée aux habitants avec l’organisation de réunions publiques, ce qui est plus marqué qu’ailleurs ».

Anne-Marie Monier souligne pour sa part que si les maires ne peuvent plus porter les opérations avec les seuls offices, ils ont innové par l’adoption dès les années 2010 de « chartes d’urbanisme » ou « chartes promoteurs » pour imposer leurs conditions (prix, nombre de logements sociaux, etc.). Ivry et Vitry ont fait partie des premières municipalités. Depuis, même des villes de droite s’y sont mises…