« C’était une question de temps » : Israël cible des dirigeants du Hamas au Qatar
Plusieurs personnes auraient été tuées lors de raids aériens à Doha, aucun dirigeant selon le Hamas. Israël est coutumier de ce type d’attaques ciblées dans des pays étrangers.

Des explosions résonnent dans Doha, la capitale du Qatar. Le ciel se gorge de fumée. La police boucle le secteur. Israël vient de cibler, par des raids aériens, les dirigeants du Hamas, le mouvement islamiste palestinien, ce mardi après-midi.
L’opération aurait fait cinq morts, dont le fils de Khalil al-Hayya, le négociateur en chef du Hamas en vue d’un cessez-le-feu à Gaza, ainsi que son directeur de cabinet. Un policier qatarien serait également décédé. Mardi soir, les responsables israéliens n’avaient pas confirmé le bilan des frappes, ni l’identité des potentielles victimes.
Cette attaque constitue une première au Qatar, le pays médiateur des négociations sur Gaza. « C’était une question de temps », assure David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la Fondation Jean-Jaurès.
La veille, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou avait ordonné ces frappes après une attaque armée, revendiquée par le Hamas, à Jérusalem Est, au cours de laquelle six personnes ont été tuées. Il « a donné instruction à toutes les agences de sécurité de se préparer à la possibilité de cibler les dirigeants du Hamas. Aujourd’hui à midi, en raison d’une opportunité opérationnelle (…) le Premier ministre et le ministre de la Défense ont décidé de mettre en œuvre la directive », indique un communiqué conjoint de Netanyahou et d’Israël Katz, le ministre de la Défense.
Israël a ciblé une réunion des négociateurs du Hamas à Doha qui, selon un responsable du Hamas, cité par l’AFP… « discutaient de la proposition du président Trump pour un cessez-le-feu à Gaza ». Selon le mouvement palestinien, « l’ennemi n’a pas réussi à assassiner les membres de la délégation ».
Cette tentative d’élimination de dirigeants du groupe islamiste poursuivait plusieurs objectifs, selon le chercheur David Khalfa : « éliminer un à un les commanditaires » du 7 octobre 2023, « démanteler les anneaux qui lient l’axe de la résistance » (l’Iran et ses alliés régionaux comme le Hamas palestinien, le Hezbollah libanais ou les Houthis du Yémen) et « se débarrasser des personnes qui obstruent les négociations et la libération des otages ».
Mardi, plusieurs pays ont condamné l’attaque d’Israël au Qatar, dont les États-Unis avaient été « informés à l’avance », selon un haut dirigeant de la Maison-Blanche. Emmanuel Macron a déclaré que ces frappes étaient « inacceptables quel qu’en soit le motif ». « La guerre ne doit en aucun cas s’étendre dans la région », met en garde le président français. Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, a condamné les raids aériens qui « violent la souveraineté du Qatar » et risquent, selon lui, « d’intensifier l’escalade dans toute la région ». Au Moyen-Orient, le Qatar, visé, a qualifié l’attaque de « lâche » tandis que l’Arabie saoudite évoquait une « violation du droit international ». L’Iran, parrain du Hamas, l’a jugée sans surprise « criminelle ».
En Israël, le forum des familles d’otages a exprimé son « inquiétude » sur le sort des otages toujours retenus dans la bande de Gaza. D’après l’armée israélienne, 47 captifs restent retenus dans l’enclave palestinienne dont 25 présumés morts. « Une crainte grave plane désormais sur le prix que pourraient payer les otages », affirme l’association.
Et ce d’autant plus que l’armée israélienne a annoncé ce mardi qu’elle allait opérer avec « une puissance accrue » dans la ville de Gaza pour en prendre le contrôle, sommant ses habitants de partir. Cette opération, annoncée en août et baptisée « Chars de Gédéon II », vise selon Tel-Aviv à éliminer le dernier grand bastion du Hamas dans l’enclave ravagée par près de deux ans de guerre.
Frapper à l’étranger pour venger le 7 Octobre
Reste que les frappes à Doha s’inscrivent dans une continuité de la politique israélienne, particulièrement depuis le début de la guerre à Gaza : Israël n’hésite pas à éliminer ses ennemis à l’étranger. Dès décembre 2023, Ronen Bar, le patron du Shin Bet, le service de renseignement intérieur israélien, menace sur la chaîne publique israélienne Kan : « Le gouvernement nous a fixés comme objectif, dans la rue, d’éliminer le Hamas. C’est notre Munich (allusion à la vengeance israélienne orchestrée après l’assassinat de onze de ses athlètes aux JO de 1972). Nous le ferons partout, à Gaza, en Cisjordanie, au Liban, en Turquie, au Qatar. Cela prendra quelques années, mais nous serons là pour le faire. »
Ses paroles sont mises à exécution dès le 2 janvier 2024, lors d’une frappe attribuée à Israël dans la banlieue sud de Beyrouth. Le n° 2 du mouvement islamiste palestinien, Saleh al-Arouri, est tué. Six mois plus tard, le 31 juillet, Ismaïl Haniyeh, chef politique du Hamas, est éliminé par Israël, alors qu’il se trouve à Téhéran (Iran). Fin septembre, Hassan Nasrallah, le dirigeant du Hezbollah, proche de l’Iran, est tué dans le bombardement de son QG au Liban.
Quelques semaines plus tôt, Israël annonçait déjà la couleur en faisant exploser simultanément des centaines de bipeurs utilisés par le Hezbollah, à travers le Liban, provoquant la mort de plusieurs membres du mouvement islamiste libanais. L’Amérique n’avait alors jamais tiqué. Mais après le raid de Doha, Donald Trump s’est dit « très mal à l’aise », a laissé entendre la Maison blanche. Sans remettre en cause l’objectif de l’opération, éliminer le Hamas (un « but louable »), Washington a regretté que le Qatar, un « allié proche des États-Unis » ait été ainsi bombardé : « Cela ne promeut pas les objectifs d’Israël ni des États-Unis ».






