Crise du logement social : en Essonne, la difficile quête pour être classé prioritaire

En Île-de-France, l’Essonne est le département francilien qui reconnaît le moins de ménages comme prioritaires au titre du droit au logement opposable (Dalo). Les associations dénoncent une « inversion de l’esprit de la loi », tandis que la préfecture met en avant son recours à un autre dispositif.

Deux fois par mois, les bénévoles de la permanence rejet Dalo 91 (ici à Évry-Courcouronnes, lundi 26 août 2025) accompagnent dans leurs recours les personnes déboutées par la commission de médiation de l'Essonne. LP/Julien Lec'hvien
Deux fois par mois, les bénévoles de la permanence rejet Dalo 91 (ici à Évry-Courcouronnes, lundi 26 août 2025) accompagnent dans leurs recours les personnes déboutées par la commission de médiation de l'Essonne. LP/Julien Lec'hvien

Malika et son mari vivent à Massy (Essonne), dans un appartement où grouillent les cafards et où leurs trois jeunes enfants s’entassent dans une même chambre. À la veille de la rentrée scolaire, la trentenaire a décidé de sortir de cette impasse en demandant de l’aide aux bénévoles de la permanence interassociative rejet Dalo 91, organisée deux fois par mois dans les locaux du Secours catholique à Évry-Courcouronnes (Essonne).

La liasse de documents que Malika dépose sur leur bureau témoigne d’un combat de près de neuf ans pour obtenir un logement social décent et adapté à la taille de sa famille. En vain. La jeune mère a déposé trois recours depuis 2019 pour que son ménage soit reconnu prioritaire au titre de la loi Dalo (droit au logement opposable) de 2007. Celle-ci définit les critères que doivent remplir les demandeurs pour être relogés dans un délai de six mois par l’État. En cas de manquement à son obligation, celui-ci s’expose à une sanction sous forme d’astreinte à verser au requérant.

18,5 % de décisions favorables

Parmi ces critères, on retrouve un « délai anormalement long » sans proposition de logement social, fixé par arrêté à trois ans en Essonne. En dépit de la longue attente de Malika, la commission de médiation (Comed) de l’Essonne, l’organisme départemental en charge d’évaluer le caractère urgent de leur situation, vient d’opposer un nouveau refus à son recours Dalo. Le motif : ses démarches préalables pour chercher un logement social sont insuffisantes.

Derrière l’ordinateur sur lequel il rédige en sa faveur un recours gracieux, Thomas Lemaître, un des bénévoles de la permanence, s’agace de cette « décision illégale », symptomatique, selon lui, d’une volonté de l’État de « se prémunir du risque indemnitaire » dans un contexte de crise du logement social. « C’est une inversion de l’esprit de la loi Dalo, qui consiste à calibrer la production de logements sociaux en fonction du nombre de ménages reconnus prioritaires sur la base de critères objectifs », souligne-t-il.



La Comed 91 apparaît en tout cas plus restrictive que les autres commissions franciliennes. Selon la synthèse du comité de veille Dalo d’avril 2025, sur les 3 885 décisions qu’elle a rendues en 2024, seules 18,5 % sont favorables, contre 34 % en moyenne en Île-de-France, avec un pic à 46,1 % pour la Comed de Paris. Seule celle des Yvelines a fait pire en 2023, avec seulement 16,1 % ménages labellisés « prioritaire urgent » à l’issue de l’examen de leur dossier, contre 17,8 % en Essonne.

Comment expliquer un tel écart entre département alors que les critères du Dalo sont censés être les mêmes partout sur le territoire français ? « Ça évolue vers un accroissement, mais c’est une vraie interrogation que l’Essonne soit en queue de peloton », expose Hervé de Feraudy, membre de la Comed 91 pour le compte de l’association Solidarités nouvelles pour le logement.

Avant d’ébaucher une piste d’explication, celui-ci tient à rappeler le fonctionnement de cette instance qui réunit 14 membres (bailleurs, collectivités territoriales, etc.), dont des acteurs associatifs qui « souffrent d’un dialogue insuffisant avec les représentants de l’État ». « On est une quinzaine à se réunir trois à quatre fois par mois. En moyenne, l’ordre du jour d’une réunion contient une liste de 120 à 130 demandes. Pour chacune d’entre elles, Docaposte, le prestataire choisi par l’État pour traiter les dossiers, a effectué un tri préalable à partir des critères du Dalo. Les délais de travail sont très courts pour traiter convenablement des dossiers et on a tendance à se baser sur ces pré-décisions. »

Vers plus de « souplesse »

Selon lui, la commission est néanmoins un « vrai lieu d’échanges », où chaque décision vient fournir une « jurisprudence » rassemblée dans une « doctrine » informelle qui définit les critères qui valent à un ménage d’être ou non labellisé Dalo. « Ce qui est surprenant, c’est que cette doctrine est départementale et qu’on a du mal à en avoir une trace écrite, même si, en Essonne, ça va mieux depuis l’année dernière », souligne-t-il.

Interrogée sur la transparence de sa doctrine, la préfecture de l’Essonne assure qu’elle a connu « ces dernières années plusieurs évolutions dans un sens plus souple », ce que reconnaissent plusieurs acteurs associatifs. Elle met également en avant son recours à l’accord collectif départemental (ACD), un « outil » qui, contrairement au Dalo, ne permet pas aux requérants d’assigner l’État en justice.



« Si le taux de décisions favorables Dalo en Essonne est plus faible que la moyenne régionale, cela s’explique par la place importante occupée par le dispositif ACD dans le traitement des situations urgentes, lequel permet de reloger rapidement de nombreux ménages fragiles sans qu’ils aient besoin d’engager un recours Dalo », analyse-t-elle.

Une réponse qui fait bondir René Dutrey, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. « C’est un détournement du cadre légal. L’Essonne utilise le blocage d’un accès au droit comme variable d’ajustement de l’absence d’offre de logements sociaux. » Une approche qui n’est selon lui pas propre au département.