Dans la nouvelle vie de Célia et Éric, de techniciens à gérants de camping : « C’était le jour et la nuit »

Sans envisager la Lune, Célia et Éric ont transformé leur rêve en réalité : ces anciens techniciens en aéronautique amorcent leur 3e saison à la tête du camping Sérendipité à Neuvéglise-sur-Truyère, dans le Cantal.

Célia et Eric gèrent désormais un camping dans le Cantal. Le Parisien DA/DR
Célia et Eric gèrent désormais un camping dans le Cantal. Le Parisien DA/DR

« Le jour où on a accroché notre affiche COMPLET à l’entrée, ça a été beaucoup d’émotion ». En août 2024, le camping écoresponsable de Célia et Éric, 28 et 38 ans, affichait complet pour trois semaines. Un juste retour après deux années de travail intense, quatre en comptant le montage administratif et financier du projet.

Avant d’opter pour leur nouvelle vie, Célia, la Toulousaine, 28 ans, et Éric, l’Albigeois, 38 ans, étaient techniciens dans l’aéronautique. Dans le giron d’Airbus, ils étaient plus précisément chargés de faire l’interface entre le bureau d’études et la production. « On travaillait sur l’A350, je traduisais les plans de montage en explications un peu plus simples et plus concrètes pour les ouvriers de la production, au niveau de l’assemblage final », détaille la jeune femme d’une voix douce et assurée.

Elle décroche ce job immédiatement après sa licence aéronautique et espace. « Au début ça m’a beaucoup plu. C’était intéressant. Le travail du bureau de préparation, c’est hyperimportant ». Mais la conception d’un nouvel avion est si longue et si méticuleuse qu’au bout d’un certain temps, « la production est autonome et a de moins en moins besoin de nous ». Célia commence à ressentir un « sentiment d’inutilité » quand le Covid met tout le secteur à l’arrêt. « Éric a été mis au chômage technique pendant quelques mois, et moi plus d’un an. Pire, pendant un an, je n’ai eu aucune nouvelle de mon entreprise, de mon chef d’équipe », un drôle de flottement alors qu’ils peuvent « l’appeler un jour pour reprendre le lendemain ».

Leurs doutes étaient plus anciens. Déjà, en 2018, le couple, qui se sent « en décalage » avec ses collègues, part faire le tour du monde. Ces fans de randonnée arpentent les contreforts andins, en Amérique du Sud, la Nouvelle-Zélande et le Népal, « plutôt des paysages montagneux », s’amuse Célia. « On se rend compte que nos aspirations et nos valeurs nous poussent plus vers une vie à la campagne. On voulait que notre vie quotidienne puisse se coller à nos passions et à ce qu’on aime faire, et que ça ne se limite pas aux week-ends ». Éric est encore plus moteur que sa compagne, car 10 ans plus âgé, sa lassitude professionnelle est bien installée.

Un tour du monde puis le Covid achèvent de les convaincre

« Quand on est rentrés, on savait déjà qu’on voulait trouver un projet de vie à la montagne, mais on avait les poches vides, donc on a d’abord dû reprendre un travail, évidemment dans l’aéronautique ». Le Covid est donc venu à point pour « se poser, réfléchir, et se décider. On a toujours campé dans tous les pays qu’on visitait et on se disait souvent, un peu en l’air, que ce serait chouette de reprendre un camping. L’idée s’est imposée et je me suis renseignée ». Célia met sa longue période de chômage technique à profit pour monter un projet, le couple se forme. « On a vite compris qu’il était très compliqué de créer notre lieu, compte tenu des règles d’urbanisme. L’idée est donc venue très vite de reprendre un camping, en sachant qu’à nos âges et avec nos apports, on aurait un peu de mal à convaincre les banques ». Leur choix s’oriente donc vers un camping municipal car « souvent il n’y a pas de fonds de commerce à reprendre ».

Le couple identifie le Massif central comme lieu de vie et visite cinq campings dans les mois qui suivent. « Aucun ne nous a plus. Et puis le destin nous a mis sur la route d’un camping qui n’était pas du tout à vendre. Le département du Cantal organisait trois jours de rencontres avec des porteurs de projets pour les aider à les concrétiser. Leur but est surtout de revitaliser des zones rurales. On y est allés, on a présenté notre envie d’un camping écoresponsable et dog friendly. La maire de Neuvéglise-sur-Truyère était présente, elle nous a dit que notre projet collerait complètement avec le camping de la commune qui était alors à l’abandon. On est allés sur place le jour même et on a eu un gros coup de cœur, tous les deux ». En découvrant le camping de Neuvéglise-sur-Truyère, disposé en des terrasses grimpant de 970 à 1 000 m d’altitude, Célia sent la « bonne énergie » qui se dégage des lieux. De majestueux frênes, pins sylvestres et tilleuls se penchent sur les emplacements, la nature est reine. « Et il y a eu la vue… Plus on monte, plus c’est joli ».

Ainsi est né le projet Sérendipité, « le fait de faire une découverte inattendue » qui s’avère ensuite fructueuse. Il résume tout : « on ne devait pas visiter de camping ce jour-là, il n’était pas à vendre, c’était notre sérendipité. Beaucoup de nos clients découvrent l’endroit par hasard, ils nous demandent la signification, et nous disent ah c’est notre sérendipité à nous ».

Découverte et coup de cœur ne signifient pas facilité : deux ans ont été nécessaires pour obtenir les clés de leur nouveau paradis. « Ça a été la période la plus compliquée. On savait que pour pérenniser le projet, il fallait investir dès le départ pour réhabiliter le site, le mettre aux normes, et monter en gamme, mais les banques ne voulaient pas nous suivre ». Le couple se forme, Célia réécrit trois fois son dossier. « D’un plan de départ à 200 000 euros environ, on a abouti à un prêt de 50 000 euros. On a fait les choix les plus stratégiques et finalement, maintenant, on se rapproche de ce qu’on avait souhaité investir au départ », se félicite-t-elle.

Deux ans d’élaboration et des travaux en pagaille

Le couple déménage en février 2023. En plus des 35 emplacements pour tentes et camping-car à remettre en état, les neuf cabanes déjà en place nécessitent des travaux d’intérieur. Ils disposent de deux mois pour relever le défi. « On a réalisé les travaux nous-mêmes, en apprenant grâce à des tutos sur YouTube. Il fallait un espace commun, c’est obligatoire d’avoir soit un endroit abrité soit une terrasse avec du mobilier. C’est aussi le point de rassemblement en cas de problème majeur, comme un incendie ». L’hiver suivant, les sanitaires collectifs sont refaits. « On a aussi créé des jeux pour enfants et un terrain de pétanque. On a ajouté deux pods, des cabanes insolites, et depuis l’automne, on a un nouveau chalet tout confort avec deux chambres. On a utilisé notre trésorerie pour tout ça et la mairie a financé les trois nouveaux hébergements, en échange d’une redevance mensuelle ».

Pendant les travaux, le camping était ouvert, il fallait donc aussi gérer les arrivées et les départs, nettoyer les hébergements, tondre, élaguer, réparer au besoin. « Tous les travaux bruyants, comme la réfection des sanitaires, ont été effectués hors saison », un temps suspendu qui s’écoule de novembre à fin mars, pendant lequel seuls le chalet et les pods sont disponibles. Mais au prix de tous ces efforts, le camping est passé de deux à trois étoiles.

Cet hiver, le couple a créé son appartement dans le camping, au-dessus des sanitaires. « Jusque-là, on louait un petit studio au village, qui se trouve à moins d’un kilomètre ». Cette nouvelle vie pourrait être un choc, en réalité non. « On est passé de la vie de salariés dans une maison assez grande, en ville, avec 35 heures de travail par semaine, à la montagne, un studio, et des heures qu’on ne compte plus, au moins 70 heures par semaine. C’était le jour et la nuit. Mais avec la passion qui nous a portés, qui nous porte toujours, ce n’est pas le même effort », assure la jeune femme.

D’autant plus qu’ « on commence à être mieux organisés parce qu’on est devenus polyvalents, poursuit-elle. Éric s’occupe des travaux, il y a encore beaucoup d’améliorations prévues », notamment cet espace bien-être avec sauna et bain nordique qu’ils aimeraient créer l’hiver prochain avec le magnifique point de vue sur les gorges de la Truyère. L’entretien des espaces verts se fait à deux. Et Célia, outre la gestion du camping, de la paperasse – notamment pour décrocher des labellisations qui augmentent la visibilité du camping - s’occupe de la communication et du marketing. « J’ai fait des études techniques, je pensais que j’étais nulle en la matière, mais j’ai de beaux retours », remarque-t-elle avec plaisir.

Célia se verse un salaire depuis un an, Éric touchera sa première paie à la fin du mois, « on a bénéficié du droit au chômage pour création d’entreprise de manière décalée. On se verse un peu moins que le salaire qu’on touchait à Toulouse mais comme nous n’avons pas de loyer ni de charges à payer, en termes de niveau de vie, c’est pareil, voire mieux. Tout est moins cher dans le Cantal ! »

Célia pourrait parler longtemps du département cantalou, dont la beauté des paysages la subjugue. « On vit dans un cadre merveilleux, avec nos deux chats et notre chien. Chaque jour, je me réjouis de la chance que j’ai de vivre ici ». Si elle et Éric vont peu au village, tenus de rester au camping 24 heures sur 24 en saison, « la gentillesse des Cantalous nous a permis de faire de très belles rencontres. Et avec les clients aussi, on a de beaux échanges ».

Parmi les rares points négatifs de cette nouvelle vie, la jeune femme cite « le rythme très fatigant en saison », et l’impossibilité de faire des choses à deux puisque l’un d’eux doit toujours être sur le site. Éric et Célia savent désormais qu’ils doivent changer leurs habitudes : « l’automne dernier, on a pris deux semaines et demie de vacances, dans les Alpes et en Haute-Loire. On a randonné et campé » et forcément, ils ont tout scruté de leur œil de nouveaux professionnels. « On ne sait pas encore où on part l’an prochain mais c’est sûr, rit-elle, ce ne sera pas au camping ».