Dans la tête de Barbara, dépensière compulsive : « Acheter, c’est ma façon d’avoir de l’emprise sur les choses »

Depuis des années, Barbara lutte contre une addiction sans substance. Pour calmer ses angoisses, elle multiplie les achats en ligne, la plupart du temps inutiles. Cette oniomanie, ou fièvre acheteuse, vise pour elle à compenser des blessures passées.

Pour calmer ses angoisses, Barbara se rend régulièrement sur les sites de Temu, Shein ou Aliexpress. (Illustration) Le Parisien-DA/Istock
Pour calmer ses angoisses, Barbara se rend régulièrement sur les sites de Temu, Shein ou Aliexpress. (Illustration) Le Parisien-DA/Istock

Ça commence par une envie passagère. Une paire de bottes compensées, une nouvelle crème hydratante, ou des casseroles en soldes. Sur l’écran de Barbara, les pubs défilent. Les promos tapageuses l’appellent : céder n’a jamais été aussi facile. « Il suffit d’un clic et c’est à moi », résume-t-elle. Alors bien souvent, la jeune femme de 29 ans craque. Elle saisit son portefeuille, entre ses codes de carte bleue et savoure, un court instant, le plaisir de l’achat inutile. Un mail lui confirme sa commande et l’excitation la gagne aussitôt : ce masque LED, désiré à peine quelques minutes plus tôt, lui sera livré dans trois jours.

Le « shoot » est fugace, mais suffisant pour lui donner envie d’y retourner. Alors le soir ou lorsqu’elle s’ennuie, Barbara fait défiler les interminables collections de Temu, Shein ou Aliexpress, ces temples de l’ultra-fast fashion. « Sur ces sites, rien n’est cher alors tout est tentant », remarque-t-elle. Sa liste de 2 600 favoris (!) compte des gadgets en tout genre : une tasse, un pyjama, des collants, une râpe à légumes, un gratte-langue, des piles plates, des néons… « La plupart du temps, ce sont des conneries qui ne me servent à rien, il faut le dire, mais quand tu déballes le truc, t’es aux anges ». Chez elle, les cartons s’accumulent, le dressing craque. Et son petit appartement regorge de collections improbables.

« J’achète, j’achète et je veux toujours plus posséder »

Par exemple ? « J’ai craqué pour toute la gamme de déodorants Dove. Pareil, j’ai tous les gels douche de la marque Cadum. Dès que j’en termine un, je le rachète. J’aime bien me dire que j’ai le choix ». Certains pourraient croire Barbara juste très dépensière, mais elle se sait « addict ». Tout serait une question de chimie interne : après un achat, le circuit de la récompense s’active et le niveau de dopamine explose. « Mon cerveau fonctionne de cette manière. Ça me démange, c’est un besoin contre lequel je lutte constamment. J’achète, j’achète et je veux toujours plus posséder. C’est ma thérapie, ma façon d’avoir de l’emprise sur les choses ».

La folie dépensière a un nom : l’oniomanie. Ce trouble du comportement qui affecte davantage les femmes, permet sur l’instant de soulager les angoisses. L’achat se nourrit aussi de croyances irrationnelles, selon lesquelles le bonheur ou l’estime de soi seraient associés à la possession de biens matériels. Barbara n’y échappe pas. « Déjà à l’école, le fait d’avoir certaines marques te rendait plus intéressant aux yeux des autres. Peut-être qu’au fond, j’ai gardé cette idée », avance-t-elle.

« Je crame tout l’argent qu’on me donne »

D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Barbara a toujours ressenti ce besoin de compenser. « À l’adolescence, je piquais la carte bleue de mes parents pour m’acheter des habits, des jeux. Alors pour être tranquilles, ils finissaient même par la cacher ». À l’école, elle subit du harcèlement et peine à se sentir acceptée par les autres élèves. Quelques années plus tard, son médecin lui diagnostique une fibromyalgie, une affection qui lui cause des douleurs musculaires, de l’anxiété et des troubles du sommeil. Aujourd’hui encore, ce syndrome l’empêche de travailler. « J’ai la chance d’avoir mon père qui m’aide financièrement, mais je crame tout ce qu’il me donne ».



Le baume des achats inutiles soulage, mais ne guérit rien. Bien souvent, l’oniomanie est associée à d’autres troubles plus ou moins sévères (un état dépressif ou anxieux, des traumas d’enfance…). Dans le cas de Barbara, le décès brutal de sa mère en 2023 la maintient dans un état de fragilité, aggravant son rapport à la consommation. « Je le sais, acheter est ma façon de compenser un manque affectif, même si cela ne m’aide pas », observe-t-elle, lucide.

Depuis l’adolescence, cette native de Clermont-Ferrand a passé la porte de plusieurs cabinets de psys. Et si elle estime aujourd’hui « aller plutôt mieux », sa soif de dépenses reste difficile à contrôler. « C’est une lutte intérieure. Je passe mon temps à me répéter : non n’achète pas ça, ça sert à rien, ne va pas sur ce site, ferme ton portable ».

« Je vais préférer manger des pâtes pour me payer tels vêtements »

Au fil du temps, cette ancienne étudiante en design a développé certaines habitudes : regarder tous les jours le suivi de ses colis, payer en plusieurs fois, éviter de consulter son compte en banque. Revoir ses plans du quotidien aussi : « Parfois je vais préférer manger des pâtes plus souvent si c’est pour me payer tel vêtement ou telle paire de chaussures ». Et la culpabilité dans tout ça ? Elle pointe parfois, juste après une commande validée, mais « passe vite », selon ses mots. Alors s’arrêter est encore plus dur. « Quand je me prends des découverts de 200 ou 300 euros, là par contre, je suis mal, je me freine », concède-t-elle.

Barbara le sait, sa situation pourrait être pire. Chez certaines personnes, une telle addiction peut conduire jusqu’à l’endettement. Malgré un haut niveau de rechute, s’en sortir reste toutefois possible. L’objectif étant de ne plus considérer l’achat comme une consolation. « J’ai beaucoup de traumas qui ne sont pas soignés, reconnaît la jeune femme. Reprendre une thérapie pourrait déjà m’aider à modérer mes achats. Peut-être passer à une commande par mois ? »

Barbara nourrit aussi certaines ambitions, comme celle de se lancer sur Twitch, pour y partager sa cuisine et ses passions. Une façon pour elle d’aller de l’avant. Et au passage « de ne pas jeter tous ces ustensiles achetés sur un coup de tête ».