Dans la tête de Céline, atteinte de fibromyalgie : « J’ai parfois envie de baisser les bras. Mais la vie, c’est pas ça »

Depuis sept ans, Céline, 46 ans, tente d’apprivoiser le mal incurable dont elle souffre : des douleurs permanentes, des pertes de mémoire, un sommeil en petits morceaux.

Maladie invisible et largement méconnue, la fibromyalgie touche pourtant plus d'un million de personnes en France. Le Parisien-DA/Istock
Maladie invisible et largement méconnue, la fibromyalgie touche pourtant plus d'un million de personnes en France. Le Parisien-DA/Istock

Avoir mal, continuellement. Faire front malgré l’épuisement. Savoir que rien n’ira quand le stress surgira, ce stress qui aggrave et qui longtemps a fait dire au corps médical : « C’est dans votre tête, Madame »… Parce qu’en plus d’être un mal largement incompris, la fibromyalgie touche surtout les femmes.

En France, en 2020, on comptait 1,2 million de personnes fibromyalgiques, quatre fois plus de femmes que d’hommes. La fibromyalgie n’est pas reconnue comme une maladie « parce qu’il y a autant de symptômes différents que de personnes touchées », résume Céline, qui a reçu le diagnostic il y a sept ans. La science parle de syndrome, d’affection chronique. Invisible, elle consiste essentiellement – et c’est déjà beaucoup - en douleurs persistantes, fatigue intense, insomnies et troubles de la mémoire.

On ne connaît toujours pas la cause de la fibromyalgie. Au début des années 2000, les progrès de l’imagerie ont mis en évidence le fonctionnement particulier du cerveau de personnes atteintes de fibromyalgie : non seulement la zone activée en cas de douleur surréagit, mais celle qui devrait temporiser les signaux n’accomplit pas correctement son travail. « Notre cerveau envoie des signaux de douleurs sans arrêt, schématise Céline. Et notre sommeil n’est pas du tout réparateur », comme les personnes narcoleptiques, dont on pense qu’elles s’endorment partout alors qu’elles ne parviennent pas à atteindre le sommeil profond. Depuis ces avancées la « fibro » a quitté la catégorie des affections rhumatismales pour rejoindre la neurologie.

La fibromyalgie est particulièrement difficile à diagnostiquer : en l’absence de marqueurs incontestables, les médecins procèdent par élimination. Pour Céline, 46 ans, c’était il y a sept ans. « J’étais quelqu’un de très actif, mère célibataire d’un garçon de 8 ans, travaillant à plein temps, présidente d’une association de couture, amatrice de danse… Je ne comptais jamais mes heures, je n’arrêtais pas », raconte-t-elle.

Les femmes quatre fois plus touchées que les hommes

Une douleur est apparue à la hanche : « je ne pouvais plus poser le pied sans pousser un cri ». Préparatrice en pharmacie, Céline passe sa vie debout derrière le comptoir. On lui diagnostique des rhumatismes de la hanche, puis de l’arthrose quand les douleurs se répandent « un peu partout ».

« J’étais exténuée. Une amie qui connaissait mon niveau d’activité habituel s’en est inquiétée, et elle a obtenu pour moi un rendez-vous avec un algologue », un médecin spécialisé dans la douleur. Sur l’échelle, subjective certes, qui permet à chacun de juger du niveau et de l’évolution de sa souffrance physique, « j’étais à 8-9 sur 10. Et pour la fatigue, à 9 sur 10 », résume Céline.

Après deux ans d’examens et de tâtonnements, Céline reçoit le diagnostic. Il lui faudra plus d’une heure d’entretien pour lâcher ce qui l’a le plus bousculée : « On m’a dit que je n’allais plus travailler, mon monde s’est écroulé ». Ne plus faire mille projets, on le sent, est pour elle la pire des sanctions. « Le temps d’entendre le diagnostic qu’on vous a fait, puis celui où vous comprenez que ça vous touche à ce point… Accepter, c’est la part la plus difficile, c’est un chemin que j’ai d’abord emprunté seule », reconnaît-elle.

Au bout d’un an, Céline s’adresse à un psychologue, comme on le lui avait conseillé. Elle se souvient comme d’hier du premier rendez-vous. « J’ai commencé par parler de mon travail, évidemment », lâche-t-elle dans un sourire désabusé. Car après un an et demi d’arrêt maladie, sa sentence médicale en main, Céline demande à contrecœur une rupture conventionnelle à son employeur. « Après 15 ans de bons et loyaux services, ils m’ont fait venir entre midi et deux pour signer les documents » sur un coin de bureau. Le pharmacien qui l’employait n’a pas pris la peine de lui glisser quelques mots, ni de venir la saluer. Six ans plus tard, elle a toujours un « pincement au cœur » en racontant l’histoire. « Je me suis pris une claque ».

On dit souvent par habitude qu’on « combat une maladie », Céline en est l’incarnation debout, une véritable guerrière. Les deux années qui suivent, Elle gère les crises avec « une ordonnance de médicaments longue comme le bras », dit-elle. « En plus des antidouleurs lourds, des antidépresseurs, parce qu’il faut bien affronter la maladie, certains centres antidouleurs préconisent même de la kétamine », une molécule qui devrait être déconseillée dans les prochaines recommandations médicales, dont la parution est attendue. « J’avais six ou sept médicaments par jour, dont 400 mg de Tramadol », un antidouleur tellement costaud qu’il est détourné en drogue. « Oui, s’exclame Céline, on est des drogués sur ordonnance ! »

« Je ne danse plus mais je marche, je bouge tant que je peux »

Inquiète des doses qu’elle ingurgite, et des effets secondaires, notamment sur sa concentration déjà altérée par la maladie, Céline s’informe, s’investit dans une association - FiblomyalgieSOS - et décide, avec l’accord de son médecin, d’arrêter cette grosse dose de chimie. « Mes 6 mois de sevrage ont été très durs, j’ai parfois failli rechuter, mais au final je suis bien contente car je me sens mieux sans tout ça ». Céline apprend à connaître ses moments de vigueur, ceux où la fatigue la clouera sur place. Elle se supplémente en magnésium et en vitamine D à la hauteur de ses carences, apprivoise le temps selon son état de forme. « Je ne danse plus mais je marche, je bouge tant que je peux, je fais beaucoup de méditation ».

Cette posologie lui réussit bien et pendant deux ans, travaillant à mi-temps dans une autre pharmacie, elle ne traverse que deux crises. « J’étais aussi beaucoup moins stressée car je bossais le matin, le moment où j’ai le plus d’énergie, et parce que la patronne, très ouverte et très humaine, m’avait embauchée en me sachant malade », loue-t-elle.

Pendant ses périodes d’inactivité forcée, Céline refuse de se laisser « ébranler ». « Se soigner vous amène à réfléchir. Il faut du temps pour se convaincre que ce n’est pas fini. Je l’ai pris. Puis j’ai revalidé des diplômes, en phyto-aromathérapie, en lithothérapie, reiki. Je me suis formée à la naturopathie sur trois ans et j’ai monté ma structure ».

Le Covid retarde l’ouverture de son cabinet. « Depuis deux ans, je travaille chaque matin en pharmacie, c’est alimentaire, et je reçois chaque après-midi au cabinet ». Cette double casquette, en plus de lui permettre de gagner sa vie, la maintient au contact « de tout un tas de gens, donc certains sont encore plus malades que moi. Ça aide à relativiser ». Tout à coup, sa voix s’emballe : « ce que je veux faire entendre, c’est que se renfermer sur soi augmente les crises de fibromyalgie, augmente le stress financier, stress qui amplifie les douleurs. Si on laisse la maladie décider de nos journées, on lui donne de la place et elle va la prendre. Il faut en être convaincu : quel plaisir de voir des gens différents tous les jours ! »

Au quotidien, la douleur s’invite dans sa nuque, ses épaules, ses bras, ses hanches. Parfois, elle est « languissante », parfois elle déclenche des décharges électriques. Les muscles de quadragénaire sont sans arrêt contractés, elle doit marcher, même la nuit, pour les détendre. Il lui est arrivé de « passer à côté » d’une rage de dents ou d’une infection urinaire, dont elle ne distinguait pas les signes au milieu de tous ceux qu’elle ressent déjà. C’est allé jusqu’aux reins. « L’avantage, sourit-elle, c’est que le jour où j’ai attrapé le Covid, mes courbatures étaient telles que je connaissais la réponse avant le test ».

« Mon conjoint subit la situation »

Un silence. Puis elle l’admet, ses espoirs fluctuent comme son énergie. « Il y a quinze jours, j’ai eu envie de baisser les bras. Mais la vie, c’est pas ça », clame-t-elle. « Il faudrait vraiment que je sois à terre, que je n’aie plus de projet… », martèle-t-elle, sans achever sa phrase. Elle reconnaît que ce n’est pas facile tous les jours, même dans sa vie amoureuse malgré le soutien indéfectible de son conjoint. « L’entourage peut entendre, mais comprendre ? Devoir sans cesse s’adapter, ne se fier à rien, c’est déjà très difficile pour nous. On a des coups de mou. L’épuisement qu’on ressent est complètement subjectif. Il y a plein de gestes anodins dont je ne suis plus capable, donc je culpabilise… et il arrive encore que je m’excuse de ne plus parvenir à faire telle ou telle chose… »

Dans l’intimité, « une caresse sur la peau peut me faire l’effet d’une brosse en ferraille », souffle-t-elle. Hors crise, la douleur change sans cesse d’intensité. « Certains jours ça va. D’autres, j’ai juste envie qu’on me foute la paix et je n’ai pas envie d’une sexualité. Mon conjoint subit la situation ». Depuis six ans, il a témoigné d’une indéniable solidité, traversant avec elle les meilleures périodes comme les plus incertaines. « J’ai bien conscience que c’est parfois pesant », dit Céline. Le couple n’a pas eu d’enfant ensemble. « Quand on s’est rencontré, la question s’est posée rapidement parce que j’allais avoir 40 ans. On avait déjà, à nous deux, trois enfants. Il m’a demandé si je me sentais prête pour les couches, les nuits, en étant plus fatiguée qu’une maman classique ».



Avec son fils, qui a grandi la moitié de son existence avec une mère malade, « on n’en parle pas sans arrêt et il me fait des blagues. Il me dit par exemple je te laisse la feuille à signer là, parce que tu as un cerveau de poisson rouge ». La fibromyalgie altère la mémoire et les capacités de concentration. « J’ai des cahiers et des stylos partout, il faut noter de suite à quoi on pense car la minute d’après, c’est avalé », dit-elle.

Finalement, elle s’interroge, « peut-être qu’être sur tous les fronts, ne rien lâcher, multiplier les activités, avoir une vie sociale riche, peut-être que c’est ça qui m’a rendue malade », réfléchit-elle encore, sept ans après. Et d’ajouter aussitôt : « Mais bon, c’est ce caractère qui m’aide à vivre avec la fibro. La pathologie est là, elle ne se soigne pas, elle fait partie de mon identité. Toute ma question a été qu’est-ce que je fais maintenant, quelles solutions je mets en place pour aller bien » au milieu de tout ça. « Je ne dis pas que ça va bien tous les jours mais on peut vivre avec cette maladie ». Alors elle vit.