Dans le cœur de Sarah, polyamoureuse : « Ouvrir son couple peut être très insécurisant »

À 32 ans, Sarah, qui a toujours été amoureuse de plusieurs personnes en même temps, découvre qu’elle n’est pas seule dans ce cas et qu’il s’agit même d’une orientation relationnelle. De quoi lui ouvrir les portes d’un nouveau monde.

Polyamoureuse depuis toujours "dans son cœur", Sarah l'est devenue dans les faits, à l'âge de 32 ans. Le Parisien-DA/iStock
Polyamoureuse depuis toujours "dans son cœur", Sarah l'est devenue dans les faits, à l'âge de 32 ans. Le Parisien-DA/iStock

C’est un beau jour de l’année 2019. Sarah a 32 ans, et, pour la première fois de sa vie, elle met un mot sur ce qu’elle ressent depuis toujours : le polyamour. À cette époque, au détour d’une conversation, une amie qualifie ainsi sa propre orientation. Une épiphanie, pour celle qui est alors infirmière. « Je lui pose des questions, je me renseigne en lisant des livres et là, je découvre un monde. » Elle en vient à comprendre que « toute sa vie » elle a été polyamoureuse. « Dans le cœur, pas dans les faits », nuance-t-elle.

Enfin, elle trouve une explication aux infidélités qu’elle a commises, à la souffrance de devoir renoncer à une histoire d’amour lorsqu’elle est déjà engagée avec quelqu’un d’autre, à cette sensation d’être différente. Depuis son plus jeune âge, Sarah a « plusieurs personnes dans le cœur ». À l’époque, cela fait sourire. Rien d’étonnant pour une fillette. Sauf que grandir ne la fait pas changer sur ce point. Mais difficile, quand est entouré de couples monogames depuis toujours, de « conscientiser » la chose. La jeune femme s’est même essayée au mariage. C’était « un rêve de petite fille de rentrer dans la norme ». La relation est douce, lui apprend beaucoup sur elle. C’est la seule histoire dans laquelle elle n’est pas infidèle, « même si je l’ai trompé dans le cœur », reconnaît-elle aujourd’hui. Mais elle finit par comprendre que ce modèle ne lui correspond pas.

Une orientation affichée « très ouvertement »

Lorsqu’en 2019, Sarah verbalise enfin ce qu’elle ressent, ses amis les plus proches ne sont pas étonnés. « Pour eux, c’était juste un terme qui définissait quelque chose que j’expérimentais depuis longtemps », se souvient-elle. Pour sa famille, « plutôt tradi », il s’agit là d’une excentricité de plus chez Sarah. S’ils ne sont pas pleinement à l’aise avec l’idée, ils sont tout de même « assez ouverts tant (qu’elle est) heureuse », interprète-t-elle.

Peu après avoir enfin mis le doigt sur son orientation amoureuse, la jeune femme en parle à Thomas (le prénom a été changé), son conjoint depuis peu. À force de discussions, de travail sur la non-possessivité, il devient « polyacceptant ». En clair, il ne voit pas d’inconvénient à ce que Sarah vive d’autres histoires, même si lui reste fidèle. « L’idée c’est de dire : je suis amoureux d’une personne, je n’ai pas à lui dicter ce qu’elle doit faire », décrit la principale intéressée. Assez naturellement, c’est vers son meilleur ami — avec lequel elle a toujours eu des relations sexuelles lorsqu’elle était célibataire — qu’elle se tourne, avec l’accord de son partenaire. « La communication, c’est vraiment très important. Bien sûr, ça a engendré des émotions, mais elles ont été bien gérées et accueillies », décrit-elle. L’histoire avec Thomas s’arrête en 2023.

La jeune femme passe plus d’un an seule, et quitte la Suisse pour la région de Toulouse (Haute-Garonne). À l’aube de ses 38 ans, elle s’offre un véritable changement de vie, abandonne son poste d’infirmière et s’installe dans un camping-car. C’est en voulant le faire décorer qu’elle rencontre deux hommes, avec qui elle entame une relation. L’un d’eux, Maxence (le prénom a été changé), est « déconstruit, pas jaloux, prêt à communiquer sur ses sentiments ». Un caractère idéal pour le polyamour. L’autre, en revanche, renvoie des signaux de masculinité toxique, une forme de possessivité qu’il ne s’avoue pas. « Il critiquait souvent mon autre partenaire », retrace-t-elle. De quoi mettre fin à cette histoire assez vite. « J’ai aussi relationné avec une fille, pendant un mois ou deux, mais elle aussi était jalouse. »

Pour Sarah, c’est toujours un peu la loterie. Car elle ne cherche pas particulièrement de relations et n’est pas très portée sur les applications de rencontres. « Je suis plutôt quelqu’un qui vit les choses comme elles viennent ». Elle ne cache pas son orientation polyamoureuse, qu’elle affiche même « très ouvertement. Quand je rencontre quelqu’un, ça fait tout de suite partie de la discussion », assure la trentenaire. Théoriquement, pas de mauvaise surprise, donc. Mais lorsqu’elle tombe amoureuse, elle ne sait pas si la personne en face « se rendra bien compte de la problématique que ça peut être ».

Une question d’organisation

Au-delà de la question de l’acceptation, le polyamour, c’est tout une organisation. Et c’est d’ailleurs pour ça que Sarah n’a jamais eu plus de deux ou trois relations concomitantes. Avoir plusieurs personnes dans le cœur, « ça fait grandir l’amour que j’ai en moi. Ce qui ne s’accroît pas, en revanche, c’est le temps qu’on a à accorder à chacun ! », souligne-t-elle, pragmatique. Mais chez les polyamoureux, chacun a sa vision des relations, et certains comptent de nombreux partenaires.

De son côté, Sarah aimerait « vivre dans une anarchie relationnelle, c’est-à-dire ne pas accorder de priorité à une relation plus qu’à une autre ». Mais dans les faits, actuellement, elle vit plutôt une « relation socle » avec Maxence, qu’elle nomme son « partenaire de nid » (car ils vivent sur le même terrain). Elle compare ses sentiments pour lui à une corde, formée de tout un tas de ficelles : « amicale, fraternelle, paternelle, amoureuse », énumère-t-elle. De quoi former un « amour inconditionnel », qui ne disparaîtrait pas si la ficelle amoureuse venait à se rompre.

Dans tout ça, le sexe n’est rien d’autre qu’une activité, que l’on décide ou pas de faire avec le partenaire. « Comme jouer au Monopoly » mais avec « beaucoup plus de proximité », rit-elle. Avec Maxence, comme dans ses précédentes histoires, Sarah prône la transparence. « Je demande toujours à la personne si elle veut que je parle de mes relations ou pas. Sachant que moi, je préfère verbaliser et je souhaite que mon partenaire fasse de même », pose-t-elle. Cela lui permet « d’être contente pour l’autre », assure la trentenaire. La discussion peut aussi permettre, dans certains cas, de « mettre un cadre ou des limites dans une nouvelle relation si cela peut sécuriser » l’autre. Ce sont, à l’inverse, les cachotteries qui rendent la Sudiste malheureuse.



Paradoxalement, avant de découvrir qu’elle était polyamoureuse, Sarah était jalouse « dans toutes (ses) relations monogames ». Car elle savait très bien que la tromperie existait, elle qui en a été témoin très jeune dans son entourage. Malgré un travail sur elle-même, orienté sur son manque d’estime et sa peur de l’abandon, via des thérapies, son vieux démon est revenu au début de sa relation avec Maxence. Pour elle, « ça a été salutaire. Ça m’a permis de reprendre confiance en moi, avec les outils que j’avais acquis. »

Au point qu’elle a même décidé d’en faire son métier. « J’ai ressenti le besoin de réparer l’amour, qui est un peu corrompu par la possessivité, la jalousie, toutes les normes préétablies », estime-t-elle. Si elle ne gagne pas encore sa vie avec cette activité, lancée il y a six mois, elle propose d’accompagner les personnes jalouses, qu’elles soient dans des relations monogames ou polygames. Plus généralement, elle n’hésite pas à conseiller ceux qui se lancent dans le polyamour. « Ouvrir son couple demande un énorme travail sur soi, ça peut être très insécurisant », met-elle en garde. « C’est une perspective d’évolution géniale, mais le chemin n’est pas toujours aisé. »