Dans le cœur de Tiffany, veuve à 31 ans : « Une partie de moi est morte avec lui »
En juin 2020, le conjoint de Tiffany a mis fin à ses jours alors que leur petite fille avait 15 mois. Désormais âgée de 36 ans, la jeune femme doit apprendre à vivre sans « l’amour de sa vie », mais pas sans amour pour autant.

C’est une très belle histoire d’amour. Comme on peut en voir dans les films, en lire dans les romans. Quentin et Tiffany sont nés à trois jours d’intervalle, dans la même maternité du sud de la France. Ils ont vécu une amourette au collège, se sont retrouvés par hasard des années plus tard et sont tombés fous amoureux. « C’est comme si nos âmes savaient », aime à penser la jeune femme. Mais il n’y a pas eu de « happy end » pour le couple. En juin 2020, Quentin a mis fin à ses jours. Il avait 31 ans, comme sa compagne. Leur fillette, Calie, était âgée de 15 mois.
Ils étaient pourtant très heureux. « On était fusionnels, on ne faisait rien séparément. L’un commençait une phrase, l’autre la terminait », se souvient Tiffany. Mais Quentin luttait depuis des années contre des troubles de bipolarité à tendance schizophrénique, pour lesquels il était suivi et prenait un traitement. « On a avancé ensemble avec cette maladie. Il arrivait à vivre avec, ça ne nous perturbait pas dans notre quotidien », décrit la jeune femme.
Les amoureux franchissent les étapes classiques : un PACS, un achat d’appartement, puis un bébé. Non sans avoir d’abord demandé conseil à la psychiatre du jeune homme.
« Un tsunami »
Les deux Sudistes ont 30 ans quand Calie naît. Quentin a, à cette période, une ou deux crises par an, pendant lesquelles il est très fatigué et peine à tenir la maladie à distance. Mais la première année à trois est idyllique. « On était super heureux. Début 2020, on a vécu le confinement comme une petite bulle : tant qu’on était ensemble, c’était merveilleux ».
Le mois de juin arrive et avec lui une nouvelle crise. Quentin est épuisé, ne dort plus, se sent mal. Sa psychiatre augmente la dose de son traitement et assure qu’il faut patienter quelques jours pour que les effets se voient. Il n’en aura pas le temps. Le jeune papa va se reposer chez sa sœur un soir. Le lendemain matin, cette dernière et les parents de Tiffany débarquent à son travail.
Elle comprend tout de suite. « C’est un tsunami, tout s’effondre. Je me dis que ce n’est pas possible qu’il nous laisse, je me demande comment je vais faire ». Son conjoint n’a pas laissé de note. « En médecine, on parle de raptus : d’un coup on disjoncte, on ne pense à rien d’autre », décrypte-t-elle.
Du jour au lendemain, Tiffany devient maman solo, copropriétaire de son logement avec sa fille, doit gérer l’enterrement. Puis, après un mois d’arrêt et un mois de vacances, la voilà de retour au travail en septembre, tentant de reprendre une vie « normale ». Elle passe un an et demi en mode « pilote automatique », à « combler », en s’occupant tous les week-ends pour éviter de se retrouver seule avec sa fille. Une configuration qui la renvoie « trop au manque ».
Jusqu’au jour où la psychologue de Calie la rappelle gentiment à l’ordre. « Elle m’a dit que ma fille avait besoin de moi », reprend la jeune maman. Sauf qu’aménager des horaires dans le secteur de la finance relève de l’impossible. Elle obtient une rupture conventionnelle et passe enfin du temps avec la fillette. Elle peut, aussi, se concentrer sur son deuil. « J’ai compris qu’on n’en sortait jamais vraiment et qu’il fallait apprendre à vivre avec », réalise-t-elle. Il faut, aussi, apprivoiser l’absence et les questions qui resteront toujours sans réponse.
Rapidement, Tiffany ressent le besoin de rencontrer d’autres personnes qui ont vécu la même chose qu’elle, « pour me dire que si elles y arrivent, je peux le faire aussi ». Elle fait la connaissance de Caroline, avec qui elle finit par créer Ressort !, une société à double casquette : les deux associées travaillent avec les entreprises dans la gestion du deuil chez les salariés, et offrent aussi une plate-forme de discussion entre personnes concernées. « J’étais vraiment en quête de sens, et aider les autres fait du bien », commente-t-elle aujourd’hui.
Plus de quatre ans après, Quentin est toujours dans son quotidien et celui de sa fille. La trentenaire pense à lui quand elle se lève, quand elle se couche. Outre les photos dans la maison, la mère de famille l’évoque tous les jours auprès de Calie, « quand on écoute une musique qu’il aimait, qu’on mange son plat préféré, raconte-t-elle. Ce n’est jamais triste ! Je veux juste que ma fille le connaisse par cœur, même si elle n’a pas de souvenirs de lui ». La jeune femme est d’ailleurs restée très proche de sa belle-famille et des amis de son défunt conjoint, pour qu’ils offrent à sa fille leurs souvenirs de Quentin.
« C’est difficile d’accepter d’aimer de nouveau »
Il n’est désormais plus le seul homme dans le quotidien de la trentenaire. « En perdant si jeune l’amour de ma vie et le père de ma fille, j’ai assez vite su que je vivrai d’autres histoires », confie Tiffany. Le déclic se fait environ deux ans après le décès de Quentin, lorsqu’elle commence à sortir la tête du sable et à mettre des mots sur sa situation. « À partir de là, on voit les choses différemment », comprend-elle.
Il y a un peu plus de deux ans, elle rencontre Lucas. Une histoire pas vraiment faite pour durer. À ce moment-là, la trentenaire se sent « très bien » seule avec sa fille. Finalement, le couple tient bon.
Mais Tiffany le reconnaît volontiers : elle n’a pas tiré un trait sur Quentin pour autant, loin de là. « Je n’ai pas vraiment fait un choix, j’ai l’impression d’aimer deux personnes à la fois. Il est toujours là, avec nous. On vit un peu à quatre ! », sourit-elle. « C’est difficile d’accepter d’aimer de nouveau », mais elle sait que c’est tout aussi difficile, pour son nouveau conjoint, d’accepter qu’elle « aime encore Quentin ».
Son présent, aussi heureux soit-il, ne parvient pas à lui faire oublier ce qu’il aurait pu être sans ce drame. « Ça me hante un peu, de savoir comment serait devenue ma fille si son père était encore là, et qui je serai aujourd’hui. Parce que je ne suis plus la même personne, une partie de moi est morte avec lui », décrit-elle. La nostalgie l’étreint souvent, dans les moments importants. Aux spectacles scolaires, elle ne peut jamais retenir ses larmes. Pas parce qu’elle est émue de voir sa fille sur scène, mais parce qu’elle aurait voulu que son papa soit là aussi. Face à un joli paysage, elle pense toujours à Quentin, avec qui elle a tant aimé voyager.
Pourtant, Tiffany ne veut surtout pas sombrer dans le pathos : « Nous avons eu une histoire d’amour magnifique, je suis tellement heureuse de l’avoir vécue. Tout le monde n’a pas cette chance », martèle-t-elle. Elle espère retrouver Quentin de l’autre côté. Mais d’ici là, « la vie sera longue sans lui ».






