Dans leur brasserie à Rouen, ils redonnent vie à un tableau emmuré depuis des décennies
À Rouen, le « Joueur d’accordéon » a retrouvé la lumière du jour grâce aux nouveaux propriétaires du bistrot dans lequel Pierre Le Trividic, peintre de l’école rouennaise, avait ses habitudes. La toile réalisée dans les années 1950 trône désormais au milieu de la brasserie qui en a même pris le nom.

Au centre, un joueur d’accordéon. Derrière lui, quelques clients, un serveur façon loufiat parisien, des affiches… En bas, quelques cartes, des verres et des pintes de bière… Depuis quelques jours, une toile peinte par Pierre Le Trividic en 1956, signature reconnue de l’École de Rouen, a retrouvé la lumière après une bonne dizaine d’années passées derrière les panneaux de bois d’un café de Rouen (Seine-Maritime).
Ce sont ses deux nouveaux propriétaires, Léo et Greg, qui ont absolument tenu à lui redonner vie. Ils ont d’ailleurs renommé leur établissement en son honneur puisque leur bistrot de quartier s’appelle désormais « L’Accordéon ». « Ça correspondait complément à l’esprit de ce que nous voulions faire de ce lieu », s’enthousiasme Léo. « C’était donc logique d’aller au bout de la démarche ».
Les deux jeunes restaurateurs de 28 ans, dont c’est la première affaire en commun, avaient eu vent de la présence d’un tableau lorsqu’ils se sont installés en décembre dernier. « Depuis, il n’y avait pas une semaine sans que des habitués nous demandent si nous allions le redécouvrir », sourit Greg. Fin mars dernier, armés d’un tournevis, ils dévoilent la toile en petit comité. « Il était en super état, avec beaucoup de cachet, l’atmosphère d’une époque qu’on aime beaucoup tous les deux… ».
« Il menait ce qu’on peut appeler une vie de bohème »
Le duo décide alors d’attendre la rentrée pour présenter à l’ensemble de ses clients cette œuvre peinte au temps de l’ « Océanic », un endroit populaire où l’artiste avait ses habitudes. Et où officiait cet accordéoniste comme l’attestent écrits et photos de l’époque. « Pierre Le Trividic était un Rouennais pur jus qui passait pas mal de temps dans les bars, aimait faire la fête. Il menait ce qu’on peut appeler une vie de bohème », assure Antoine Bertran, spécialiste de cette École de Rouen, un courant artistique de la fin du XIXe siècle inspiré par l’impressionnisme et dont le peintre rouennais, né en 1898, était l’un des héritiers.
« C’était une personnalité, un chroniqueur de la vie locale. Il avait ses habitudes dans les coulisses du Théâtre des arts, mais aussi au Palais de justice où il croquait les audiences pour le compte du quotidien local. C’était un touche-à-tout, très bon aquarelliste qui avait fait l’école des Beaux-Arts. Il pouvait aussi bien réaliser des décors pour le cirque-théâtre que des affiches. Il avait aussi été primé pour ses dessins d’architecture. D’ailleurs il a beaucoup peint sa ville car c’était ce qui se vendait le mieux », détaille le galeriste qui estime que le talent de Le Trividic, disparu en 1960, n’a peut-être pas été assez reconnu.
« Il ne voyageait pas beaucoup. À part une expédition vers l’Islande et le cercle polaire. Il n’a finalement jamais vraiment recherché la renommée au-delà du petit cercle du monde de l’art rouennais ».
« Il a été peint pour ce lieu »
Aujourd’hui, ses dessins ou ses affiches s’échangent pour quelques centaines d’euros. Ses tableaux consacrés au port de Rouen entre 2 000 et 3 000 euros. « C’est un thème qui plaît bien. Et il avait la faculté à rendre compte du mouvement, celui des dockers qui déchargeaient les bateaux ».
Qu’en est-il pour le tableau redécouvert récemment ? « Par sa taille, il aurait peu de clients potentiels. Et puis, il a été peint pour ce lieu. C’est plutôt en cela qu’il a de la valeur. D’ailleurs, il y avait un second tableau de Le Trividic issu de l’Océanic. Il était passé entre les mains de mon père. Il avait été vendu, mais pas une fortune… »
Pour Greg et Léo, pas question de s’en séparer, bien au contraire. « On a prévu de mettre un petit texte, peut-être avec une photo de l’artiste, à côté du tableau. Et on a un peu de documentation (dont une partie a été offerte par Antoine Bertran) qu’on va mettre à la disposition de ceux qui veulent en savoir plus sur le peintre et son époque », prévoit déjà Léo, heureux tous les matins de saluer le joueur d’accordéon en passant derrière le zinc.






