Au cœur de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc Ép. 1/4 

« En 2003, certains se pointaient en débardeur » : l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, petite course devenue (trop) grande

SérieÉpisode 1Enfilez vos chaussures, allumez vos frontales, cet été, nous plongeons au cœur de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc. Premier épisode, la course : comment cette petite épreuve chamoniarde s’est transformée en énorme machine.

Par Emilie Torgemen

Le 25 août 2025 à 14h00, modifié le 29 août 2025 à 17h09

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Pour sa 22e édition qui démarre le 25 août, l'UTMB attend plus de 10 000 personnes au départ des désormais huit circuits. Le Parisien-DA/AFP/Jeff Pachoud, UTMB/Toni Spasenoski et DR
Pour sa 22e édition qui démarre le 25 août, l'UTMB attend plus de 10 000 personnes au départ des désormais huit circuits. Le Parisien-DA/AFP/Jeff Pachoud, UTMB/Toni Spasenoski et DR

Notre Série « l’Ultra-Trail du Mont-Blanc »

  1. « En 2003, certains se pointaient en débardeur » : l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, petite course devenue (trop) grande
  2. « L’UTMB, ça fait mal, mais ça prouve qu’on est vivant » : mais pourquoi gravir des montagnes en courant ?
  3. « Je crame deux ou 3 paires de baskets par an » : comment les trailers qui en bavent font saliver les marques
  4. « Quand on les voit arriver avec leur tenue fluo… » : l’UTMB, un show planétaire dans un écrin si fragile

Il est déçu. Quand on le rencontre sur ses terres début juillet à Chamonix, Michel Poletti arrive des États-Unis où il a dû abandonner la Western States, course américaine de 161 km dans la Sierra Nevada californienne. « J’ai fait la moitié du parcours, leur temps minimal est dur pour les vieux comme moi », regrette-t-il.

À l'origine de l'UTMB, le couple Catherine et Michel Poletti (ici dans le jardin de la maison de l'UTMB) continue de diriger l'UTMB Group qui gère les courses du circuit «by UTMB» à travers le monde. LP/Thomas Pueyo
À l'origine de l'UTMB, le couple Catherine et Michel Poletti (ici dans le jardin de la maison de l'UTMB) continue de diriger l'UTMB Group qui gère les courses du circuit «by UTMB» à travers le monde. LP/Thomas Pueyo

« Le vieux », physique affûté dans son tee-shirt usé, n’est pas n’importe quel coureur : avec sa femme Catherine, en robe à fleurs et baskets roses, assise à ses côtés, et quelques copains, ils ont créé en 2003 l’Ultra-Trail du Mont-Blanc : 170 km en pleine nature à travers trois pays autour du plus haut sommet d’Europe.

Pour sa 22e édition qui démarre le 25 août, plus de 10 000 personnes seront au départ des désormais huit circuits. Car en plus de, l’épreuve reine ― toujours 170 km ―, il y en a aujourd’hui pour tous les goûts et même une de « seulement » 15 km. L’événement annuel est devenu l’équivalent du Tour de France pour le trail.



En deux décennies, « la course de quartier », l’aventure d’une bande de Chamoniards, s’est transformée en but ultime pour les traileurs, ces aventuriers qui viennent de plus en plus nombreux. Et un graal même au-delà de cette communauté.

Une première édition dantesque

En ce début d’été, Catherine et Michel Poletti, les fondateurs, nous reçoivent sans chichi dans le jardin de la maison de l’UTMB au cœur du village. Ils ont passé la main mais restent hyperactifs. Leur fille Isabelle, désormais directrice des courses françaises, jongle entre le bac français de ses enfants et les derniers ajustements du plus grand événement annuel.

À quelques semaines du coup d’envoi, il lui reste à discuter avec la petite vingtaine de municipalités traversées, dans trois pays, obtenir des autorisations de la préfecture, assurer les achats pour le ravitaillement (beaufort et charcuteries italiennes), mais aussi caler les plans de tournage pour les images hyperpros de l’événement.

Isabelle Viseux-Poletti, fille des co-fondateurs de l'UTMB, est l'actuelle directrice de l'UTMB. LP/Thomas Pueyo
Isabelle Viseux-Poletti, fille des co-fondateurs de l'UTMB, est l'actuelle directrice de l'UTMB. LP/Thomas Pueyo

Des vidéos qui ont fait la force de l’UTMB dès le début. Avec le suivi en direct des coureurs, le trail n’est « pas un exploit solitaire mais une aventure partagée », répète la patronne comme un mantra. Et pour cela les compétences familiales ont bien aidé : Isabelle, son époux et son père sont ingénieurs informaticiens.

Dès la première édition, en 2003, les inscriptions se faisaient sur Internet. « C’était presque révolutionnaire. Ce qui fait que nous avons eu un recrutement très international dès le début », rappelle Michel Poletti. Résultat, sur la ligne de départ, 722 inscrits, « à 300, nous aurions déjà été contents », se marre le couple.

Olivier Bessy, sociologue du sport et auteur du livre « 20 ans d’UTMB » rapporte qu’« En 2003, certains s’étaient pointés en minishorts et débardeurs, avec un sac de rechange à Courmayeur, une étape qu’ils n’ont jamais atteinte ». Le tout premier vainqueur se souvient, lui, de ce moment d’histoire : « Il n’existait pas d’épreuve aussi longue à l’époque. Beaucoup de coureurs, peu habitués, étaient très mal équipés, décrit le Népalais Dawa Sherpa. Il y avait de la pluie au départ, et de la pluie à l’arrivée. »

La météo dantesque a fait entrer cette première fois dans la légende : la course a été un champ de bataille. Sur tous les partants, 67 seulement sont arrivés dans les temps.

Un tournant international dans la douleur

Passé dix ans, l’UTMB prend un premier tournant international, avec les premières courses franchisées en Chine (au nord dans le Yunnan, au sud ouest, dans le Sichuan), à Oman, à Ushuaïa sous la bannière « Ultra-trail WorldTour ». « Plutôt un échec », reconnaissent les Poletti. « Parce que nous n’avions pas les mêmes règles ni la même façon de gérer les pénalités », assure Catherine. Michel tranche « Ce n’était simplement pas rentable » avant de souffler : « Le Covid a bien failli nous faire la peau. »

Après la pandémie, ils ont fait entrer au capital Iron man, l’un des principaux groupes d’organisation d’événements sportifs. Le groupe UTMB, devenu international, recrute un pro : Frédéric Lénart, l’ancien patron des 24 heures du Mans. Il lance de plus en plus de courses à l’étranger.

C’est le moment des couacs, le petit monde du trail grince des dents. On persifle que les courses « by UTMB » sont trop standardisées… et chères. On accuse le groupe aux quatre lettres d’écraser les événements locaux.



Ainsi, celui du Ventoux, Stanislas Réchard, a appris, après des mois de dialogues compliqués, que son trail se retrouvait finalement en concurrence avec l’UTMB qui avait labellisé et modifié une course voisine, le Grand raid du Ventoux. « Ce qui en fait désormais une copie conforme de la nôtre, à un mois d’écart et 12 km de distance, regrette l’organisateur associatif. L’UTMB, ultra-dominant, a tendance à imposer ses normes, ses tarifs. »

Au Canada, en 2023, c’est Gary Robbins, personnalité de la discipline, reconnaissable à sa longue barbe de bûcheron, qui s’est fendu d’un long message, il y dénonce les manœuvres de l’UTMB pour imposer son épreuve. Depuis le jardin chamoniard, Michel et Catherine reconnaissent des « maladresses » de communication et disent « s’être expliqués depuis avec Gary ».

N’empêche, le système de qualification au circuit mondial d’ultra-trail s’appuie sur les « Running Stones », que l’on ne peut collectionner que sur les courses labellisées UTMB.

Une volonté hégémonique ?

« Des pros, comme la star de la discipline Kilian Jornet, ont critiqué ce système qui les oblige à suivre le calendrier imposé par le groupe. Les amateurs, eux, craignent que la barre sportive soit toujours plus haute et certains regrettent une sélection par le portefeuille », rapporte Olivier Bessy, le sociologue du sport parle de « volonté hégémonique » de l’organisation.

L’accusation fait sourire Isabelle Visieux-Poletti, qui connaît ses chiffres sur le bout des doigts. « Il existe six événements UTMB en France sur environ 3 000 trails, réplique la directrice pour la France de l’organisation. Nous n’allons pas manger le marché de qui que ce soit. Toutes les courses qui font bien leur boulot vendent tous leurs dossards. »

Et les coureurs ? Ils en redemandent. En février, les préinscriptions ont encore atteint des sommets. 25 000 demandes ont été enregistrées pour la distance reine (170 km, l’originale), la course de 57 km comme de 101 km, les trois finales de l’UTMB World Series fin août à Chamonix. Soit une hausse de 30 % par rapport à 2024. Rien n’arrête le rouleau compresseur UTMB.