« Faire du mal pour voir ce que ça faisait » : les ados tueurs de La Réunion jugés pour l’assassinat de Shana

Ce couple d’adolescents, âgés de 14 et 16 ans au moment des faits, est apparu totalement détaché après avoir assassiné une jeune fille de 16 ans à La Réunion en 2023, justifiant leur acte comme « une expérience de vie ».

Shana, 16 ans, a été tuée à La Réunion en novembre 2023 après avoir été attirée dans un piège par deux adolescents. DR
Shana, 16 ans, a été tuée à La Réunion en novembre 2023 après avoir été attirée dans un piège par deux adolescents. DR

C’est un double procès hors norme qui va débuter ce mercredi 10 septembre devant le tribunal pour enfants de Saint-Pierre, replongeant La Réunion dans les abysses d’un crime défiant l’entendement. Ceux du meurtre sauvage et froidement prémédité d’une jeune fille de 16 ans, tombée dans le guet-apens orchestré par un couple d’adolescents animé d’un irrépressible désir de donner la mort.

Devant la juridiction pour enfants d’abord, puis devant la cour d’assises des mineurs en novembre, les accusés, une collégienne de 14 ans et son petit ami lycéen de 16 ans à l’époque des faits, encourent pour ces faits d’assassinat les peines maximales : 20 ans pour elle, avec l’excuse de minorité, perpétuité pour lui, si cette excuse de minorité devait être levée.

L’affaire Shana, du nom de la petite victime retrouvée sans vie le mercredi 20 septembre 2023 dans le sombre réduit d’une usine sucrière désaffectée de Saint-Pierre, avait commencé comme une disparition inquiétante, alors que la jeune fille, élève d’un lycée hôtelier de la côte Ouest, n’avait plus donné signe de vie à son papa depuis le samedi précédent.

Une ado « très gentille, discrète, réservée »

Ce matin-là, elle avait pris le bus de Saint-Denis pour se rendre à Saint-Pierre « dormir chez une copine ». Décrite comme « une perle, très gentille, discrète, réservée », Shana avait du mal à se faire des amis depuis qu’elle était revenue vivre chez son père à La Réunion. Elle avait fini par le convaincre de la laisser aller dans le Sud, ce dernier pensant qu’il s’agissait d’une camarade de classe. Vers 9 heures, celui-ci reçoit un texto de Shana : « Je suis arrivée. » Puis, plus rien. Le piège tendu par Lucas et Solène (les prénoms ont été changés) vient de se refermer sur elle.

  • Podcast

[2/6] Jubillar : de la disparition au procès, une affaire sans corps ni aveux

Crime story raconte chaque semaine les grandes affaires criminelles.

Logo podcast-crime-story
Écouter

Attirée par les filles, Shana avait noué depuis une dizaine de jours une relation virtuelle sur Instagram avec une certaine « Mia », qui l’invitait à venir chez elle. Durant l’instruction, ses assassins présumés reconnaîtront avoir pris contact via ce pseudonyme avec « plusieurs personnes au hasard, mais c’était la seule qui avait répondu. »

Descendue du car, Shana est accueillie par Solène. Les deux filles reprennent un bus de ville, direction l’ancienne usine de Pierrefonds. En chemin, Solène envoie discrètement un SMS à son petit ami pour prévenir de leur arrivée. Ce dernier attend, tapi dans l’ombre du bâtiment désaffecté.

Une fois à l’intérieur, Solène demande à Shana de poser son sac à dos et de fermer les yeux. S’attendant à recevoir un baiser, celle-ci s’exécute. C’est alors que surgit Lucas dans son dos, lui faisant une clé de bras pour la faire chuter à terre. Solène dira plus tard que « Shana a tendu la main vers moi en criant Pourquoi moi ? »

Après le décès de Shana, « c’était une journée normale », dira l’un des accusés

S’ensuit une interminable scène de violences, le jeune couple maintenant la victime au sol, lui bâillonnant la bouche de leurs mains. Après avoir tenté de l’étrangler, les deux ados se saisissent d’un compas amené par Solène et piquent la jeune fille à la gorge. Leurs tentatives restant vaines, Solène tend alors à Lucas une grosse pierre. À califourchon sur la victime, il la frappe à plusieurs reprises sur le visage. Puis dans un effroyable relais, c’est Solène qui prend la position et cogne à son tour sur Shana. Quand celle-ci ne bouge plus, le couple attend encore près de trente minutes près du corps, allant jusqu’à « prendre le pouls » de la victime pour s’assurer de son décès.

VidéoSurveillante tuée : le suspect n'a exprimé «aucun regret », rapporte le procureur

Ils traîneront ensuite la dépouille de Shana dans un recoin plus sombre de l’usine, puis se laveront les mains avant de s’emparer des vêtements et des 200 euros que contenait le sac de la victime. Après, « c’était une journée normale », dira Lucas.

S’étant débarrassé du téléphone de la lycéenne, le petit couple va s’offrir un restaurant en ville avec l’argent de Shana, poste sur Instagram des photos souriantes de ce petit « date » avec burgers et cocktails, fait les boutiques et même un petit « câlin » sur le port. Puis chacun rentre chez soi. « Elle était tout excitée, contente », décriront les parents de Solène. Ce soir-là, la collégienne est revenue comme si de rien n’était, distribuant des cadeaux à ses petites sœurs, y compris le bracelet que Shana avait prévu de lui offrir.

Le corps retrouvé scarifié avec une longue croix sur le torse

Pendant des jours, le père de Shana multiplie les recherches dans le Sud, interroge près de 500 personnes avec ses amis et la famille, sans succès. Avisée dès le dimanche, la police tente également de retracer le chemin de la lycéenne, qui se perd à la gare routière. Ce n’est que le mercredi suivant que la tablette de la jeune fille révèle ces échanges récents avec « Mia », alias Solène.



Convoquée au commissariat à sa sortie du collège, celle-ci va immédiatement reconnaître face aux policiers abasourdis avoir « tué » la jeune Shana en compagnie Lucas, livrant un récit détaillé des événements avec une froideur et un détachement déconcertants. Entendu un peu plus tôt comme témoin, Lucas avait été relâché après avoir menti en disant ne pas connaître la victime. Il est finalement interpellé dans les minutes qui suivent. Et c’est sur leurs indications que les policiers découvrent le corps de la victime, vers 16 heures ce jour-là.

Ils franchissent un pas de plus dans l’horreur. Retrouvée en position fœtale, partiellement dénudée, son doudou posé à côté d’elle « par respect » justifiera Solène, la jeune fille au visage démoli a été scarifiée d’une longue croix sur le torse.

Le mobile invoqué fait froid dans le dos. Le couple, qui se fréquentait depuis moins d’un an, s’était mis d’accord pour « faire du mal à quelqu’un ». Pour « voir ce que ça faisait », comme une « expérience de vie ».

Un couple partageant « une fascination pour le sang »

Frappés par les aveux des deux jeunes gens, policiers et magistrats s’attacheront par la suite à comprendre leur parcours et leur personnalité. Si Lucas, aîné d’une famille recomposée, apparaît comme un garçon torturé, déscolarisé, « fasciné par le gore », accro aux jeux vidéo violents et questionnant son identité de genre, Solène, elle, vient d’une famille décrite comme « aimante et pleine de valeurs » et excelle dans ses études, même si, « empathique et respectueuse », elle conserve un psychotraumatisme lié à une agression sexuelle subie dans l’enfance. Lorsqu’il se rencontre, le couple devient rapidement « fusionnel » et partage bientôt une « fascination pour le sang », se livrant des « jeux » de scarification mutuelle.



Leurs explications sur leur meurtre de Shana glacent le sang. « On savait que c’était pas quelque chose de bien mais on avait l’impression que ça se faisait tous les jours, que c’était normal » déclare Solène aux enquêteurs, « on était plus légers après ». « Moi je voulais faire au moins trois victimes pour avoir la qualification de serial killer. Ça m’énerve d’avoir juste été un assassin, du coup j’ai un peu raté », dira Lucas au psychiatre qui l’examine.

Malgré ces traits de personnalité inquiétants, aucun trouble psychiatrique ne sera néanmoins décelé par les experts chez les deux jeunes, dont « l’absence de remords ou de regrets » déconcerte les spécialistes.

« Le cocktail d’une société où l’ultra-violence est banalisée »

Une affaire « irrationnelle » pour l’avocat de la défense Me Jean-Jacques Morel, qui y voit « le cocktail d’une société où l’ultra-violence est banalisée, attisée par les réseaux sociaux, et de la rencontre de deux esprits fragiles déconnectés de la réalité ».

Un dossier « invraisemblable, qui frappe par la froideur implacable et la cruauté dont a fait preuve ce couple à l’égard d’une jeune fille qu’ils n’avaient jamais vu et qui était la gentillesse incarnée », observe Me Julien Barre, avocat du père de Shana.

Des parties civiles qui s’apprêtent à devoir traverser deux fois l’épreuve du procès puisque, du fait de leurs âges respectifs au moment des faits, les deux accusés ne peuvent comparaître devant la même juridiction.