« Il n’a tenu aucune promesse » : Bayrou, un immense « gâchis » pour les victimes de Bétharram
Au cœur du scandale de Bétharram, le Premier ministre avait promis de prendre le sujet des abus dans les écoles privées à bras-le-corps.

Des images qui reviennent, comme un couteau qu’on remue dans une plaie béante. Pour Frédéric, c’est ce « coup de poing au foie », asséné par un prêtre, au détour d’un couloir de collège Saint-Pierre du Relecq-Kerhuon (Finistère). Si fort qu’il en a vomi. « Nettoie-moi tout ça mon cochon », m’a-t-il balancé après, se souvient le sexagénaire, désormais membre de l’un des collectifs de Bétharram, cette institution catholique près de Pau (Pyrénées-Atlantiques).
L’établissement est devenu le symbole de ces écoles privées où, durant des décennies, on a torturé des élèves : 217 plaintes y ont été déposées par d’anciens pensionnaires agressés, abusés ou violés. Ce mardi, la démission du Premier ministre François Bayrou a rouvert leur terrible blessure. Le maire de Pau avait été au cœur du scandale, en début d’année, suspecté d’avoir été au courant des agissements — en tant qu’élu local, puis ministre de l’Éducation dans les années 1990 — mais de n’avoir rien fait. Le chef du gouvernement avait alors promis de mettre en place des mesures pour accompagner les victimes.
PODCAST. Violences et abus à Bétharram : l’affaire qui bouscule François Bayrou
« Il n’a rien fait ! » enrage Alain Esquerre, « désabusé » quand il a assisté, derrière sa télévision, à la censure du gouvernement, voté par 364 députés (sur 589). L’ancien élève de Bétharram, porte-parole de l’un des collectifs de victimes, rembobine. « Il nous a reçus, à la mairie de Pau puis à Matignon. À chaque fois, j’ai plaidé pour la création d’une structure pour les victimes, de la nécessité d’une indemnisation et d’un suivi psy. Et j’ai encore ses paroles en tête : Je vais le faire ! »
Même son de cloche chez Constance Bertrand, la représentante des victimes de l’institut catholique Saint Dominique de Neuilly. « François Bayrou a parlé de la création d’un Conseil national des victimes lors de son audition à l’Assemblée nationale. L’idée était de nommer un organisme indépendant avec des victimes qui pèse sur les politiques publiques et fasse des recommandations. Las : « Il n’a tenu aucune promesse et… il s’en va ! »
L’espoir d’un Premier ministre à l’écoute
Et maintenant ? « Sa démission a été accueillie avec un grand soupir de soulagement par les affiliés - sentiment que je partage. On a l’impression que l’affaire Bétharram a été prise avec une grande désinvolture », soupire Frédéric, qui ne veut plus que ce débat soit « pollué par les intérêts politiques ».
Pour lui, le seul espoir est que « le prochain Premier ministre s’empare de ces dossiers ». « Il faudra quelqu’un de réceptif », complète Alain Esquerre, qui ne veut pas croire qu’avec la fin de Bayrou, le scandale de Bétharram sera enterré. « Les médias s’en sont emparés, la parole se libère, l’opinion est prête », juge l’ex-élève de l’institution béarnaise, qui rappelle qu’un procès va avoir lieu, sans que l’on en connaisse la date, pour juger un ancien surveillant, mis en examen pour viol.
« C’est fondamental que le dossier soit pris en main », abonde Annie, la maman de Sébastien (prénom changé), ancien élève de Bétharram. Son fils subit de plein fouet les séquelles des viols qu’il a subis dans les années 1990. « Il est au RSA, souffre d’addictions à l’alcool et à la drogue. Il est détruit et on est totalement abandonné », lâche-t-elle. Même espoir pour Pierre, 69 ans, le papa de Marianne, abusée alors qu’elle était en seconde à Saint Dominique de Neuilly : « Elle a fait une grave dépression. Elle est fragilisée à vie ! »
« On a besoin de vérité, ajoute Constance Bertrand. Aujourd’hui, je n’ai aucune assurance qu’il n’y ait plus de Damien Saget (un ancien surveillant accusé de viols et de violences) dans les écoles et qu’il n’y a plus de maltraitance envers les enfants. On n’a pas réglé le problème des violences éducatives ! »
Il faut donc « tourner la page Bayrou », résume Annie. « Il a donné de l’espoir aux victimes, ce qui est dangereux car, alors qu’elles sont blessées, elles se sont malmenées par les institutions », abonde Constance Bertrand. Alain Esquerre, lui, ironise à propos de la dédicace qu’il a signée sur son livre, « le Silence de Bétharram » (Éd. Michel Lafon), au Premier ministre : « A François Bayrou, l’homme qui peut tout changer. »





