Épisode 2
« L’Amour est dans le pré » a 20 ans : et Karine Le Marchand est entrée dans le champ
Il était une fois, l’Amour est dans le pré Ép. 1/4



Par Marie Poussel
Le 9 août 2025 à 14h00, modifié le 29 août 2025 à 12h45

« Quand j’ai vu arriver la présentatrice Véronique Mounier avec sa petite robe et ses souliers de ville pour marcher dans la boue, je me suis dit : Je ne suis pas sûr que ça le fasse. Et pourtant, elle a été super », en rit encore Dominique, un éleveur de vaches allaitantes de la première saison de « L’Amour est dans le pré ». Nous sommes en 2004 dans les Côtes-d’Armor.
Sur le papier, la rencontre entre une animatrice au look citadin et un agriculteur en cotte bleue et mal d’amour paraît improbable. Rien ne semblait les réunir et pourtant… Dominique devient alors le premier agriculteur d’une longue série à trouver l’amour grâce à l’émission de rencontres campagnardes de M 6.
« Un copain, approché pour le casting, a pensé à moi », se remémore le beau gosse aux yeux azur qui faisait partie des huit hommes et deux femmes âgés de 24 à 41 ans à tenter leur chance dans cette première salve de romances champêtres. « J’avais déjà vécu des amourettes, mais je cherchais le grand amour. Je me suis lancé dans l’émission complètement à l’aveugle en me disant pourquoi pas ? nous raconte l’éleveur breton. À l’époque, les agriculteurs avaient une mauvaise image, celle d’arriérés, et c’était l’occasion d’en montrer une nouvelle. C’était l’inconnu total. Mais cela s’est bien fini ! Je suis toujours marié avec Anne et nous avons eu deux enfants, Théo, 16 ans et Léonie, 12. Notre histoire est digne d’un film romantique. »
Alors que le speed dating rural fête ses deux décennies avec la diffusion de deux soirées « Que sont-ils devenus ? », dès ce lundi 11 août, puis l’arrivée de la saison 20 le 25 août (à 21h10), difficile de faire meilleur ambassadeur. Cependant, la greffe en France n’a rien eu d’un long fleuve tranquille… Bien au contraire.
« Ah, c’est sûr que personne au début ne s’est battu pour récupérer ce programme », contextualise Thomas Valentin, vice-président du groupe M 6 à l’époque. Une femme y croit pourtant après l’avoir déniché à l’étranger. C’est Bibiane Godfroid alors à la tête de la société de production Fremantle. « Au départ, c’était un format hollandais en langue flamande du catalogue de Fremantle, retrace celle qui est désormais directrice générale du groupe Newen. Il me plaisait beaucoup, j’y voyais un potentiel, mais l’émission était refusée partout, y compris par M 6, d’ailleurs. »
Auréolée du succès de « Loft Story » en 2001, la chaîne privée verse alors davantage dans le glamour et les paillettes que dans la boue et les bottes de foin. Pour vendre « L’amour est dans le pré » aux diffuseurs tricolores, Bibiane Godfroid enchaîne les déjeuners, les coups de fil avec tous les grands patrons. En vain. France 3, l’antenne des décrochages régionaux, est un moment intéressée pour y développer un angle plus « terroir » que « dating » (comprenez rencontres), mais finit par renoncer. « Au vu du succès vingt ans après, elle s’en mord encore les doigts », ricane un spécialiste des médias.
« Non, Bibiane, ce n’est pas possible, l’amour chez les agriculteurs, cela n’intéresse personne. Pourquoi veux-tu faire ça ? Voilà ce que l’on me répétait, se souvient Bibiane Godfroid. Je n’ai pas lâché. C’est le programme pour lequel j’ai le plus embêté les patrons. » Chez M 6, on traîne des pieds. « C’était un ovni et un risque, rappelle Nicolas de Tavernost, l’ancien président du directoire. Il n’y avait aucun ingrédient du succès pour un directeur des programmes rationnel. Depuis les années 1980, l’agriculture était plutôt un truc de France 3. Aujourd’hui, on sait que c’est une valeur sûre. Mais c’était alors une autre époque. »
« Tout indiquait que cela n’était pas pour M 6, abonde Thomas Valentin. La chaîne était considérée comme urbaine, innovante et moderne, avec des émissions comme Le Bachelor, Loft Story. Et quand vous disiez : on va regarder des agriculteurs qui cherchent l’amour, cela ne donnait pas une image très jeune ! (Rires.) Comme quoi, il faut ne pas se fier qu’à certains critères, mais aussi être instinctif. »
Aidée par le succès de « Oui chef ! », une des premières émissions de cuisine du PAF avec Cyril Lignac qu’elle produit, Bibiane Godfroid finit par obtenir un feu vert. « M 6 me dit : On va le faire pour te faire plaisir. Ils n’y croyaient toujours pas beaucoup plus, mais c’était parti. »
La Six veut se rapprocher des « vraies gens » en leur donnant des conseils pratiques en mode grâce à « Nouveau look pour une nouvelle vie », en éducation avec « Super Nanny », puis en décoration avec « D&Co » de Valérie Damidot, et en immobilier avec les débuts de « Recherche appartement » de Stéphane Plaza. Alors, « aider la France à repeupler les campagnes », comme le dit un temps Nicolas de Tavernost, pourquoi pas ? « On voulait être proches des téléspectateurs, refléter des réalités dont on ne parlait jamais en prime time à la télévision, analyse Thomas Valentin. C’était le cas des problèmes d’isolement et de célibat des agriculteurs. Donc, on y est allés. »
Véronique Mounier est choisie comme présentatrice pour ce galop d’essai. « Je venais de Télématin sur France 2 et Fremantle me propose L’Amour est dans le pré à mon grand étonnement, car je suis une fille de la ville avec un côté BCBG, se souvient l’ancienne animatrice. Or, le concept avait du sens car on contribuait, avec nos modestes moyens, à lutter contre plus de 40 % de célibat. On était attendus au tournant par les syndicats agricoles, car ils craignaient qu’on ne caricature la profession. On a filmé les agriculteurs tels qu’ils étaient. On est passé de la téléréalité à du docu-réalité. »
« On avait une seule consigne : les laisser vivre, que cela soit le plus naturel possible. Rien n’a jamais été scénarisé et on ne devait pas intervenir, confirme Frédéric Saint-Simon, un des cadreurs toujours à l’œuvre depuis la saison 1. La vie est plus forte et plus belle que ce que l’on imagine. Depuis ce moment, on est à la limite du documentaire. »
Aux prémisses, les moyens ne sont pas vraiment au rendez-vous. « Je ne veux pas faire ma princesse mais je suis partie un mois en voiture et en train, dormant dans des hôtels Balladins (des établissements d’entrée de gamme) en bord d’autoroute, glousse Véronique Mounier. Cependant, l’émission était super drôle à faire, même si on ne savait pas ce que cela allait donner. Je n’avais pas de coiffeur sur la première saison, on m’avait coupé les cheveux hyper court et je me détestais. La production m’avait dit : Comme cela, tu es tranquille pour un moment ! La maquilleuse s’occupait de moi dans la voiture, une étable ou un champ, c’était roots. Et même en interview, on ne savait pas trop sur quel pied danser. Si on allait trop loin, les agriculteurs se fermaient. Il fallait jouer la bonne copine. »
Après des mois de tergiversations, M 6 décide de lancer les premiers épisodes le 6 juillet 2006, les portraits des candidats ayant été diffusés quasiment un an avant, le 8 septembre 2005 et en deuxième partie de soirée. « Une fois en boîte, l’émission est restée un long moment sur les étagères, explique Bibiane Godfroid. La chaîne ne savait pas où la programmer et a opté pour un test en été. »
Bingo, la mayonnaise prend tout de suite. « L’audience était correcte au départ et n’a jamais cessé d’augmenter, se réjouit la productrice. C’est ainsi que L’Amour est dans le pré est devenu un must. Le succès a été quasiment immédiat, le bouche-à-oreille a marché. Les gens ont été surpris par ce qu’ils découvraient. Ils se sont attachés aux agriculteurs, à leurs histoires intimes. »
En coulisses, Véronique Mounier vit aussi une révolution intérieure. « C’est une des émissions qui m’ont le plus marquée, même personnellement, s’émeut-elle, vingt ans après. À force de vouloir repeupler les campagnes françaises, je suis tombée enceinte (rires). Et ce qui est fou, c’est que cela faisait plusieurs années que j’essayais. L’émission a été sûrement un déclic psychologique pour moi. Je n’ai pas fait la saison 2 pour accoucher et je suis retombée enceinte… Ensuite, mon planning ne me permettait plus de partir aussi longtemps en tournage avec deux enfants en bas âge. »
La Six doit trouver une remplaçante. Alors débutante, Alessandra Sublet, qui pilotera les saisons 2 et 4, Véronique Mounier revenant pour la 3, s’impose aux caciques de la chaîne avec son franc-parler et sa bonne humeur contagieuse. « Je n’étais pas sur la chaîne depuis longtemps et on m’a proposé de présenter L’Amour est dans le pré ainsi que La France a un incroyable talent, se souvient l’animatrice. J’ai dit oui tout de suite et roule ma poule, on verra bien ce que cela donnera ! J’y suis allée gaiement sans savoir dans quoi je m’embarquais ! Je sortais de la matinale de Canal +, je n’avais pas une notoriété de fou et je savais que je n’allais pas être la star du programme. » Pour se préparer, elle se voit confier « une VHS ou un CD du programme hollandais ». Une révélation. « Comme je suis une fille de la campagne, j’ai pensé en regardant : mais évidemment, c’est pour moi ! »
« Je me suis éclatée, détaille encore Alessandra Sublet. J’ai eu le choix d’aller rejoindre les agriculteurs et les techniciens en train ou en voiture. Évidemment, moi qui aime l’aventure et les copains, je suis partie faire ce tour de France en Renault Espace avec les techniciens. J’ai adoré ça ! Ce qui m’a plu, c’est autant ce que les téléspectateurs ont ressenti que ce que j’ai vécu en coulisses, notamment les invitations des agriculteurs qui sont trop contents de te voir et t’offrent plein de coups. Moi qui ne bois pas d’alcool, j’ai goûté tous les calvas de France et de Navarre (rires). Et je me suis retrouvée plusieurs fois dans des situations où je pensais ne pas pouvoir faire les interviews car j’étais trop pompette ! Parfois, on ne pouvait plus décoller et on passait la soirée dans les fermes avec les familles. Inoubliable. Cette émission, avec tout ce qui s’y est passé une fois la caméra éteinte, a été une de mes plus belles aventures. »
La jeune femme décidera de la quitte, r pourtant… et rejoindra vite la présentation de « C à vous » sur France 5, laissant ses bottes à une certaine Karine Le Marchand.