Le brame du cerf filmé en direct pendant trois semaines 24 heures sur 24 : la « slow TV » débarque en France !

A partir de ce lundi 8 septembre, sept caméras vont diffuser des images de la vie sauvage en forêt de Rambouillet (Yvelines). Un programme retransmis 24 heures sur 24 en direct sur france.tv, la plate-forme gratuite de France Télévisions.

Le programme est garanti sans scénarisation, les équipes laissent faire la nature. Espace Rambouillet/Arnaud Freminet
Le programme est garanti sans scénarisation, les équipes laissent faire la nature. Espace Rambouillet/Arnaud Freminet

Perché sur une échelle à plus de deux mètres de hauteur, un tournevis à la main, David s’affaire autour d’une caméra blanche, typique de la vidéosurveillance, accrochée à un arbre. « Il faudrait la fixer un peu plus haut », lance Nicolas Sallé, réalisateur, au technicien.

Forêt de Rambouillet (Yvelines), premier jeudi de la rentrée. La petite équipe règle les derniers préparatifs. Car ce lundi 8 septembre, à 18 heures, ces sept caméras installées à l’Espace Rambouillet vont se mettre à tourner. Au programme : trois semaines de captation, diffusées en direct sur france.tv, la plate-forme gratuite de France Télévisions, 24 heures sur 24, soit 504 heures au total.



Objectif : partager avec les spectateurs installés derrière leur écran l’expérience du brame du cerf. Ça s’appelle de la « slow TV » (« télé au ralenti ») et c’est une première de cette ampleur en France. Ici, pas de scénario ou d’intrigue. Rien n’est écrit d’avance, rien n’est contrôlé, on laisse faire la nature. Pour garantir un minimum d’animation devant les caméras, c’est ce parc de 180 hectares en pleine forêt, à une heure de Paris, qui a été choisi. Sa concentration d’animaux sauvages, environ 200 bêtes au total, est 10 à 15 fois plus importante que dans une forêt classique.

« On a rencontré le directeur de la zoologie, des connaisseurs du lieu et des comportements des animaux », explique Guillaume Lecuyer, chargé de production chez Eden, société de production déjà à l’origine de « Tokyo Reverse », déambulation d’une nuit à reculons dans la capitale nipponne, en 2014. « Ça nous a permis de déterminer les endroits les plus appropriés pour placer les caméras. »

« Ici, par exemple, c’est la place de brame », indique-t-il en désignant une clairière, sur laquelle est braquée une caméra équipée d’infrarouge pour pouvoir filmer dans l’obscurité. À la nuit tombée, d’ordinaire, elle devient le lieu de parade des cerfs, qui n’hésitent pas à donner de la voix en poussant ce cri si particulier dans l’espoir de séduire les biches environnantes et dissuader les concurrents.

Des caméras alimentées par le soleil, et beaucoup d’aléatoire

Un peu plus loin, un autre appareil a été placé au-dessus d’une mare. « On appelle ça la souille, souligne Brigitte Teinturier, directrice de communication de l’Espace Rambouillet. C’est là que les cerfs, bien énervés et bourrés de testostérone, ont l’habitude de se rouler, pour enlever les parasites, se rafraîchir, et les biches viennent y boire. Ce n’est pas une certitude de les voir à cet endroit, mais on sait que cette mare est visitée régulièrement. »

Techniquement, l’opération est un sacré défi. Les caméras sont alimentées par des panneaux solaires. « Être au bon endroit avec le bon cadrage, imaginer l’ensoleillement dans une forêt, penser à tout ça, c’est un enfer, souffle David Grether, directeur de Viewsurf, spécialiste en webcams et prestataire technique. Avec du soleil, on est à 300 W, mais s’il fait très gris, on tombe à 10. Alors on croise les doigts, il faut qu’il y ait du soleil régulièrement pour tenir sur la durée. »

Cet exercice de pure téléréalité représente un vrai défi technique. LP/Pauline Conradsson
Cet exercice de pure téléréalité représente un vrai défi technique. LP/Pauline Conradsson

Un micro a été placé au milieu des bois, pour diffuser un son immersif continu. « Le vent dans les feuilles, la pluie, ça fait partie intégrante du projet », insiste le chargé de production. Un autre est fixé devant la place de brame. « Si on voit un cerf ouvrir la bouche, il faut qu’on l’entende bramer », souligne-t-il.

Les caméras alterneront, actionnées automatiquement selon un script défini à l’avance par le réalisateur. « Il y a une grosse part d’aléatoire, concède Nicolas Sallé. Mais si l’on voit qu’il se passe quelque chose à un endroit, on peut forcer. »

Ça cartonne en Norvège et en Suède

« C’est super intéressant de montrer la beauté de la nature et cet événement incroyable qui a lieu chaque année, en parler, s’enthousiasme le professionnel, spécialisé dans le documentaire animalier. Il va falloir apprendre à s’émerveiller de tout ce qui se passe pendant des heures même si on n’atteint pas notre objectif ultime qui est de voir un cerf bramer. On n’est jamais sûr de le voir. J’ai l’impression que c’est ça la slow TV. Apprendre à prendre le temps. »

Le concept existe déjà ailleurs en Europe. Un voyage en train de sept heures entre Bergen et Oslo (Norvège), où l’on voit le paysage défiler, a inauguré le genre en 2009. Depuis 2020, la télévision nationale suédoise diffuse chaque printemps la migration des élans. Et ça cartonne !



Cette année, le programme a cumulé neuf millions de vues, contre un million lors de la première édition. Autre succès, cet été : un robot sous-marin d’une mission scientifique, qui filmait les fonds marins de l’Atlantique en direct, a captivé les Argentins, totalisant un million de vues certains jours. Et la « slow TV » existe aussi sur Netflix, où l’on peut regarder crépiter, pendant une heure un feu de cheminée.

« Ça fait partie des choses qui bougent en ce moment, la Norvège et la Suède ont montré la voie, et là, ça s’institutionnalise, notamment grâce aux progrès techniques », analyse Barbara Laborde, maîtresse de conférences à la Sorbonne Nouvelle, spécialiste de la télévision. « Il y a un effet disruptif, à contre-pied des habitudes, qui séduit un certain public ».

« Besoin de ralentir »

Elle voit plusieurs façons de suivre le programme, qui sera accompagné, chaque jour à 17 heures, d’une interview de spécialiste (naturalistes, chercheurs, éthologues…). « Ça peut servir d’ambiance de fond, pendant qu’on fait autre chose. Ou bien on se pose, on prend le temps, estime la chercheuse. C’est une autre forme de regard sur le monde, un programme de bien-être, feel good. » Comme peuvent agir le yoga ou la méditation. « Avec en plus, la force du direct, cet effet il se passe ça en même temps ! », insiste-t-elle.

« Tout va vite dans nos grandes villes, on a peut-être un besoin de ralentir, embraye Nicolas Sallé. Observer, écouter, ressentir, c’est ce qui permet de limiter le taux de cortisol (hormone du stress) et se faire du bien ».

Et le faire en regardant la télé n’est pas anodin. « L’écran, c’est inscrit dans notre quotidien, un outil simple, qu’on maîtrise, avec un effet doudou, décrypte l’enseignante. Et qui vient, là, nous donner accès à autre chose, en extérieur. » « L’objectif, c’est quand même de donner envie aux gens de retourner dans cette nature en vrai et de ressentir des choses qu’on ne ressent pas derrière un écran », insiste Nicolas Sallé.

Est-ce que nos cerfs franciliens atteindront les cartons d’audiences des élans scandinaves ? « Ça peut prendre du temps, mais ça peut s’installer et devenir un rendez-vous saisonnier, comme le Tour de France, imagine Barbara Laborde. Au début, il n’y avait pas grand monde devant sa télé pour regarder la Grande boucle. Les choses peuvent se faire sur du temps long. »