Moqueries, « leçons de morale insupportables »… À Dieppe, des riverains et la mairie s’écharpent pour un projet de logements sociaux
134 logements locatifs doivent voir le jour sur une parcelle de 1 ha à Dieppe (Seine-Maritime). Les riverains dénoncent la hauteur des bâtiments, l’éradication de la biodiversité et la densité du béton sur ce qui était jusqu’à présent une friche agricole. Leur lutte contre les bailleurs sociaux et la mairie se poursuivra bientôt au tribunal.

Voici quelques mois que les riverains de la rue Louis Fromager, dans le quartier de Janval, à Dieppe (Seine-Maritime), interpellent la mairie de la ville à propos d’un projet immobilier sur une friche agricole où se trouvent encore deux bâtiments d’une ancienne ferme. Deux bailleurs sociaux prévoient d’y construire des logements, 32 pour Logeo et 102 pour Logéal. Le maire (PCF) de la ville, Nicolas Langlois, a signé les permis de construire le 27 janvier dernier.
Depuis, les opposants réunis dans le Collectif rue Fromager ont envoyé un recours gracieux à la ville et se sont liés à l’association Urgences Patrimoine « qui nous fournit un avocat et des experts », précise Christophe Thiebaut, l’un des riverains. Le recours gracieux ayant été « rejeté avec une réponse à côté de la plaque », juge-t-il, « le 24 juillet, nous avons déposé un recours contentieux au tribunal administratif de Rouen (Seine-Maritime). Avant une date d’audience, nous étudions les mémoires de défense des bailleurs ».
« Un chevreuil s’accroche »
La friche d’un peu plus d’un hectare, achetée en commun par les deux bailleurs – à hauteur de 1,1 million d’euros pour Logéal et 340 000 euros pour Logeo –, a jadis accueilli une ferme. Le terrain n’ayant pas été travaillé depuis des années, le groupe de riverains s’attaque ainsi au « coût écologique énorme » de l’opération : « De la biodiversité détruite. Malgré les arbres rasés, un chevreuil s’accroche. »
Ils pointent également le risque de potentielles inondations en contrebas, « car, en cas de gros orage, et cela arrive de plus en plus souvent, la rue devient un fleuve. Sans la zone tampon qui sera minéralisée, il y a un risque non négligeable d’écoulement vers la ville. Eux parlent d’inondation modérée. C’est quoi, modérée, quand on subit une inondation ? », interroge Christophe Thiebaut.
Ils demandent aussi la protection des deux bâtiments en briques et galets d’époque, avec le soutien de quelques architectes, dont Clotilde Neveu, à la tête de l’agence d’architecture dieppoise ARRRCHI, qui a envoyé un courrier à la mairie en ce sens. « Ils écrivent que la destruction de cette bâtisse est profondément injuste », résume Françoise Kobylarz, une autre riveraine. « Pour sa qualité architecturale et paysagère, pour son état de conservation, pour l’impact environnemental qu’engendrerait sa destruction... La rénovation de ce corps de ferme et son intégration dans un projet architectural respectueux du site est une nécessité. On nous répond seulement que quelques briques seront sauvées pour orner le local poubelle. Ce n’est pas une blague ! Ils se moquent de nous. »
2 000 logements manquants
Les riverains en colère vont aujourd’hui plus loin, et dénoncent la concentration de logement sur cet espace restreint. En effet, de l’autre côté de Dieppe, au val d’Arquet, un autre projet immobilier est dans les tuyaux. Mené par le bailleur 3F Normandie, il prévoit la construction de 630 logements sur 20 ha, une densité trois fois moins importante qu’à Janval. « Alors qu’il y a 880 logements vacants, la municipalité dit qu’il manque 2 000 logements à Dieppe », pose Christophe Thiebaut. « Si elle appliquait au val d’Arquet la même densité qu’à Janval, ce serait réglé. »
Ce manque de logements à Dieppe découle de la construction de deux réacteurs nucléaires EPR2 à la centrale voisine de Penly. Des milliers d’ouvriers sont attendus durant les dix ans du chantier. « Mais combien d’entre eux seront éligibles ? », met en doute Christophe Thiebaut, pas plus convaincu par les arguments plus récents de la mairie : « Ils disent aussi maintenant que c’est pour les familles monoparentales, comme pour nous donner mauvaise conscience. »
« On demande que le projet soit revu en totale concertation et avec discernement », poursuit-il. « 80 % des riverains de la rue Fromager habitent dans des pavillons, et nous voulons continuer à vivre paisiblement. Si c’est pour créer un quartier où la concentration demandera dans quelques années d’envoyer des médiateurs pour apaiser les relations, c’est une aberration. C’est un manque de respect voire un mépris envers ceux qui vont y vivre. »
Pourtant, selon lui, « les alternatives ne manquent pas. EDF a aussi assez les moyens pour acheter le terrain et en faire un parc et une réserve écologique ». « Et nous ne sommes pas là pour être les parents pauvres d’EDF pour alimenter en électricité la région parisienne, car ici nous n’avons toujours que les miettes », conclut-il.
« Ce qu’ils ne veulent pas, ce sont des logements sociaux près de chez eux »
Le maire de Dieppe, Nicolas Langlois, qualifie pour sa part les positions du comité de riverains de « leçons de morale insupportables » et conteste leur interprétation : « Les logements de la rue Fromager ne sont absolument pas destinés aux salariés qui seront en déplacement pour la construction des deux réacteurs nucléaires. Ils le savent ! Pour ce personnel, il y a des bases de vie à Dieppe, dans l’agglomération et les communautés de communes environnantes. »
« Le problème, c’est qu’ils méprisent les gens qui habitent dans les logements sociaux. C’est inacceptable ! C’est ça le problème de fond », estime le maire. « Au début, ils ont cherché l’argument esthétique. Des immeubles moches comme à Alger ou à Ibiza. Quand ils ont vu que ça ne prenait pas, car ils ont été hués en assemblée, ils sont passés sur l’argument de la densité de la population. » Un argument qui n’a pas lieu d’être, selon lui : « Les gens qui habitent dans les logements sociaux sont des gens qui bossent ou ont bossé toute leur vie. On a des marins-pêcheurs, des aides à domicile, des employés de commerce, de jeunes salariés qui ont besoin d’un loyer maîtrisé… »
« Ils ont aussi inventé l’histoire de la petite maison qui reste alors que tout le monde sait que la ferme s’est effondrée voici des décennies », poursuit Nicolas Langlois. « À cette époque, ils ne se sont pas intéressés au patrimoine agricole. Ce qu’ils ne veulent pas, ce sont des logements sociaux près de chez eux alors qu’à Dieppe, nous avons l’habitude d’aménager en veillant à une mixité dans les quartiers et en respectant la sérénité. Il n’y a aucun quartier invivable à Dieppe. »






