Mort de Rick Davies de Supertramp : pourquoi les deux chanteurs du groupe étaient en guerre

Le cofondateur et co-compositeur de Supertramp, Rick Davies, est mort à l’âge de 81 ans le 6 septembre chez lui, à Long Island. Il a fait vivre l’immense groupe pop jusqu’à ce qu’il tombe malade, en 2015.

Rick Davies, ici à Paris en 2011, cofondateur du groupe Supertramp, décédé le 6 septembre. LP/Frédéric Dugit
Rick Davies, ici à Paris en 2011, cofondateur du groupe Supertramp, décédé le 6 septembre. LP/Frédéric Dugit

« Goodbye stranger it’s been nice/Hope you find your paradise. » À l’instar de « Goodbye Stranger », tout le monde connaît ses chansons et son groupe, mais peu identifient son nom. Rick Davies, décédé le 6 septembre chez lui, à Long Island, à l’âge de 81 ans, était le cofondateur de Supertramp, l’une des deux voix et plumes du groupe, l’artisan du son sur son orgue Würlitzer et le tenant de la marque sur disque et sur scène.

C’est Supertramp qui a annoncé la triste nouvelle dans la nuit de dimanche à lundi après une bataille de plus d’une décennie contre un cancer de la moelle osseuse. Ce même myélome multiple qui obligea le musicien anglais à annuler en 2015 une tournée européenne de reformation, cinq ans après le dernier concert du groupe à Bercy en 2010 et onze albums enregistrés entre 1970 et 2002.

Les sept premiers, dont le légendaire « Breakfast in America » sorti en 1979 et vendu depuis à 20 millions d’exemplaires dans le monde — dont 3 millions en France —, ont été enregistrés avec son alter ego Roger Hodgson. En 1969, Rick Davies, chanteur-claviériste de six ans son aîné, lui fait passer une audition comme bassiste-guitariste et chanteur. Rick a la voix grave, Roger plus aiguë. Ils se partagent le chant et l’écriture des chansons.

« Les débuts n’ont pas été faciles, se souvient le producteur Pascal Bernardin, qui a fait tourner Supertramp en France jusqu’en 2010. Pour leur premier concert à Paris, en février 1975 au Bataclan, nous avions vendu sept billets. Avec France Inter nous avions rendu la soirée gratuite et accueilli 300 personnes. Le show était génial. Sous le coup de l’émotion, je voyais en eux les nouveaux Pink Floyd. »

« Le vrai Supertramp, c’est Rick Davies »

Supertramp s’est fait un nom pour une gloire planétaire, qui atteint les 60 millions d’albums vendus et connaît son apogée hexagonal au parc de Sceaux, en 1983, devant 80 000 fans. Seulement voilà, après treize ans de bonheur, Roger Hodgson décide de quitter le groupe pour se lancer en solo et s’occuper de ses deux bébés.

Davies et Hodgson passent alors un deal d’exclusivité : le premier utilise la marque Supertramp, le second ses propres chansons, c’est-à-dire la plupart des tubes du groupe (« Dreamer », « Give A Little Bit », « The Logical Song », « Breakfast In America », « It’s Raining Again »…)

Mais avec le temps et la pression des fans, Supertramp finit par jouer ces tubes sur scène et le contrat moral n’est plus respecté, selon Roger Hodgson. Les deux hommes se brouillent. Le groupe remplit Bercy, Hodgson se contente de l’Olympia. « Le vrai Supertramp, c’est Rick Davies, estime Pascal Bernardin, qui est resté un ami proche. Roger, c’était la voix et les fioritures. Rick, c’était le pilier, les fondations, la rythmique et de grandes chansons comme Goodbye Stranger, Bloody Well Right, Cannonball… La tour Eiffel, on la connaît pour sa pointe, mais elle ne tient pas sans ses fondations. »

Ils ont essayé de retravailler ensemble en 1992, « mais ça n’a pas marché, nous confiait Rick Davies en 1999. Roger Hodgson a besoin d’espace pour s’exprimer. » En 2008, ce dernier nous avait avoué espérer reformer le groupe en 2010. Sans succès. Selon certains observateurs, Hodgson avait des relations encore plus compliquées avec Sue Davies, avec qui son ex-partenaire formait « un couple fusionnel » depuis 1977 et qui était devenue la manageuse du groupe.

« On leur avait proposé plein d’argent pour se reformer, mais ils n’ont pas accepté »

« Ils avaient des créativités différentes et étaient de milieux sociaux différents, analyse Pascal Bernardin, qui passait chaque année quelques jours chez le couple Davies. De tous les artistes dont je me suis occupé, Rick était le seul chez qui je dormais. »

Né à Swindon, commune moyenne entre Londres et Bristol, Rick Davies était fils d’une coiffeuse et d’un docker et a commencé à faire de la musique comme batteur de jazz. « Rick était ouvrier et avait quitté l’usine pour devenir musicien, rappelle son ami producteur français. Roger lui était un hippie de luxe. On leur avait proposé plein d’argent pour se reformer, mais ils n’ont pas accepté, ce qui prouve leur honnêteté. »

Le désamour était tel que Hodgson n’a pas eu un mot sur les réseaux sociaux pour son ancien partenaire de jeu. Le saxophoniste de Supertramp, John Helliwell, est l’un des rares musiciens connus à avoir rendu hommage à son ami « excentrique, agaçant et drôle ». « Quand je l’ai rencontré pour la première fois, il était emmitouflé dans une couverture de survie, se souvient-il. Quand nous étions ensemble, il m’agaçait beaucoup en me volant mon dentifrice et en pressant le tube par le mauvais bout. »