Municipales à Paris : « flou », « amateurisme »… le financement de la campagne au défi du nouveau mode de scrutin

En adoptant un système de double élection, la réforme de la loi PLM bouleverse aussi les règles du jeu en matière de financement électoral. Neuf jours après l’instauration de la période de réserve, les candidats attendent encore des directives précises.

Les candidats tête de liste devront bien présenter un compte de campagne pour chaque élection s’ils sont candidats aux deux scrutins. (Illustration). LP/Delphine Goldsztejn
Les candidats tête de liste devront bien présenter un compte de campagne pour chaque élection s’ils sont candidats aux deux scrutins. (Illustration). LP/Delphine Goldsztejn

À moins de six mois des élections municipales à Paris, nombre d’incertitudes commencent à se lever : à gauche, trois candidats ont été désignés (Emmanuel Grégoire pour le Parti socialiste ; David Belliard chez les Écologistes et Ian Brossat pour les communistes). À droite Rachida Dati est désormais officiellement investie par les Républicains. Reste toutefois une inconnue de taille à l’approche du scrutin dans la capitale : le financement de la campagne.

Alors que, depuis le 1er septembre, les candidats doivent commencer à recenser l’ensemble des recettes perçues pour assurer le financement de leur campagne électorale, à Paris, l’incertitude demeure.



La faute à la récente modification du scrutin et la loi dite PLM. En adoptant un système de double élection, et donc deux urnes, l’une pour élire les membres du Conseil de Paris, l’autre pour élire ceux de l’arrondissement, la réforme bouleverse aussi les règles du jeu en matière de financement. Sans que les candidats sachent très bien, à ce stade, à quoi s’en tenir.

« Nous sommes dans le flou le plus total, s’agace auprès du Parisien David Belliard, le candidat écologiste. C’est une situation ubuesque, personne ne sait quels sont les moyens dont nous allons disposer. C’est de l’amateurisme. »

Du côté du Parti socialiste, où le candidat Emmanuel Grégoire multiplie les appels aux dons auprès des militants pour une « mobilisation efficace », la situation est tout aussi confuse. « Nous avons nommé un mandataire mais nous sommes toujours dans l’attente de directives claires, s’impatiente-t-on dans son entourage.

À Paris, une campagne plafonnée à 2,5 millions d’euros

Mais qu’en est-il vraiment ? Jusqu’ici, le financement de la campagne municipale à Paris était divisé en vingt, à partir d’un même compte de campagne. Dans chaque arrondissement, les candidats devaient ainsi nommer un mandataire financier. Une partie des montants récoltés servait à payer la campagne de l’arrondissement, une autre était reversée pour la campagne parisienne.

Quant au montant du plafond des dépenses électorales, il se calcule en fonction du nombre d’habitants de la circonscription d’élection. Soit, à Paris, un peu moins de 2,5 millions d’euros par candidat.



En 2014, le Parti socialiste assurait, par exemple, avoir dépensé « environ 2 millions d’euros » au cours de la campagne. « 800 000 euros sont réservés à la campagne parisienne, c’est-à-dire à celle d’Anne Hidalgo pour payer notamment le loyer de sa permanence, quelques salaires, l’impression des tracts et les deux meetings de la candidate », expliquait au quotidien Metronews, Rémi Féraud, alors directeur de campagne de la maire de Paris.

Ces règles seront-elles toujours en vigueur avec la réforme du scrutin ? La commission sénatoriale, qui s’est exprimée contre la réforme, s’interrogeait déjà au printemps des conséquences sur le financement de la campagne. « L’organisation de deux scrutins distincts imposerait la tenue de plusieurs comptes de campagne distincts pour les candidats », prévenait dans son rapport la chambre haute.

« Aucune réponse n’a pu nous être donnée »

« Ceux qui seraient candidats tête de liste au conseil d’arrondissement et au Conseil de Paris auraient l’obligation d’ouvrir deux comptes de campagne distincts, pour retracer les dépenses de chacune des deux campagnes, écrivait la sénatrice (LR) Lauriane Josende, rapporteure du texte. Or, il sera sans doute impossible de différencier les dépenses effectuées au titre de la campagne pour la mairie, de celles effectuées au titre de la campagne pour la mairie d’arrondissement, tant les enjeux sont liés. »

« Aucune réponse n’a pu nous être donnée à ce sujet », déplorait encore la rapporteure lors de l’examen du texte en commission. Dans son intervention, le sénateur (LR) Francis Szpiner pointait, lui aussi, le « risque d’une inégalité entre les candidats ». « Certains ne se présenteront qu’à une mairie d’arrondissement et bénéficieront d’une souplesse dans leur budget, tandis que ceux qui se porteront candidats à la mairie d’arrondissement et à la mairie centrale devront se doter d’un double budget, détaille le ténor des barreaux. Comment distinguer les deux enveloppes ? »

Autour de la table, les mêmes doutes sont partagés par son homologue socialiste, la sénatrice de Paris Marie-Pierre de La Gontrie. « Lorsque le futur maire ne dispose pas de compte de campagne propre, le processus est plutôt aisé puisqu’il est procédé à une répartition des dépenses sur l’ensemble des arrondissements dans lesquels il présente une liste, expose celle qui a été la trésorière de l’équipe d’Anne Hidalgo lors de la présidentielle de 2022. Avec ce texte, en revanche, nous aurions une liste centrale et des listes d’arrondissement — avec autant de comptes de campagne —, tandis que d’autres personnes ne seraient pas nécessairement candidats aux deux échelons… »

« Extrêmement compliqué »

Dans les couloirs de l’Hôtel de Ville, même les tenants de cette réforme décriée semblent méconnaître ses conséquences sur les règles de financement. « Le plafond n’a pas vocation à changer », assure une membre de l’opposition qui conseille toutefois de « demander au ministère de l’Intérieur si les règles ont changé ».

Interrogé à ce sujet lors de son audition devant la commission des lois, Christian Charpy, désormais président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), avait lui-même fait preuve d’un certain embarras : « Il est clair que le guide du mandataire relatif aux élections à Paris, Lyon et Marseille promet d’être extrêmement compliqué… »

Après plusieurs semaines de flottement, une nouvelle édition de ce document pédagogique vient justement d’être transmise aux élus en ce début de semaine. En tentant de clarifier une bonne fois pour toutes la situation. « S’agissant des comptes de campagne, peut-on désormais y lire à propos du changement de mode de scrutin à Paris, ce sont les règles de droit commun qui s’appliquent : un compte de campagne par élection et par candidat tête de liste avec déclaration d’un mandataire et ouverture d’un compte bancaire distinct pour chaque élection. »

En clair, les candidats tête de liste devront bien présenter un compte de campagne pour chaque élection s’ils sont candidats aux deux scrutins. Neuf jours après l’entrée en période de réserve, les prétendants au fauteuil de maire commencent seulement à y voir un peu plus clair… La campagne, elle, n’a pas attendu pour se lancer.