Procès de l’anesthésiste Péchier, accusé d’avoir empoisonné 30 patients : « Je suis innocent »
Jugé depuis ce lundi 8 septembre pour avoir empoisonné trente patients, et tué douze d’entre eux, l’ex-anesthésiste maintient sa ligne : il n’est coupable de rien.

C’est un marathon judiciaire qui s’annonce, et sa première journée aura donné le ton. Il aura ainsi fallu attendre presque dix-neuf heures pour entendre la position de Frédéric Péchier sur les accusations vertigineuses auxquelles il va devoir faire face durant trois mois et demi : trente empoisonnements dont douze mortels, faits passibles de la perpétuité.
Usé par les huit années écoulées depuis sa mise en examen, alourdi par les antidépresseurs et un usage immodéré de l’alcool, l’ancien anesthésiste s’est présenté ce lundi 8 septembre à la barre de la cour d’assises du Doubs, teint rouge et l’allure un brin débraillée — chemise bleue froissée sur jean assorti, chaussures de ville en cuir, vestiges de son statut social passé.
PODCAST. Procès de Frédéric Péchier : pourquoi l’ex-anesthésiste est accusé de 30 empoisonnements
Interdit de travailler et de résider dans le Doubs, le brillant médecin de 53 ans, jamais incarcéré, a dû se réinstaller chez ses parents, a divorcé et vit désormais du RSA. Une déchéance qui ne lui a pas ôté l’envie de se battre.
« Je réfute tous les faits qui me sont reprochés, je n’ai jamais empoisonné quelqu’un, je n’ai jamais empoisonné les poches (d’injection), je suis innocent », a-t-il énoncé d’une voix claire, visiblement préparé. Une déclaration qui n’a provoqué aucune réaction dans la salle : il le répète depuis 2017.
Comme pour tout procès-fleuve, cette première journée était surtout consacrée à l’organisation des débats : recensement des quelque 155 témoins et 156 parties civiles — une dizaine sont encore venues s’ajouter. Mines fermées, toutes ou presque sont porteuses d’un cordon rouge, synonyme de leur refus de parler aux médias, nombreux eux aussi.
À son arrivée, Frédéric Péchier n’a, lui, pas semblé impressionné par la nuée de caméras et de micros, il en a désormais l’habitude. Mais il a dû se frayer un chemin parmi les victimes et leur famille, dont il a semblé fuir le regard.
À chaque suspension, pour éviter tout incident, il bénéficie d’une salle dans laquelle il est entouré de son clan : son ex-femme, ses enfants, qui seront entendus en décembre. Mais aussi, plus inhabituel, sa propre sœur, avocate, qui siège aux côtés de Me Randall Schwerdorffer, Me Ornella Spatafora et Me Lee Takhedmit.
Seul signe perceptible de nervosité : lors de son interrogatoire d’identité, Frédéric Péchier s’est dit incapable de donner l’adresse du lieu où il réside durant le procès, lui qui pourtant a vécu plus de vingt ans à Besançon.
Pour le reste, il n’a rien montré ou presque, parfois avachi dans son fauteuil, dans cette impressionnante salle classée aux Monuments historiques, siège de l’ancien Parlement de Franche-Comté, rénovée et convertie pour l’occasion en cour d’assises.
Nuire, briller, se venger
Sur l’estrade, toutefois, la nature des pièces à conviction rappelle à elle seule la spécificité de cette affaire, sans équivalent en France : un chariot d’anesthésie et des poches d’injection, que Frédéric Péchier est suspecté d’avoir polluées en avance pour intoxiquer les patients de ses confrères, et ensuite les sauver.
Nuire, briller, se venger. Un mobile qui dépasse l’entendement, et qui explique en partie comment les gravissimes complications — et décès — ont pu s’empiler durant neuf longues années à la clinique Saint-Vincent avant que celle-ci ne réagisse.
La fastidieuse lecture du résumé des faits par la cour, longue de plus de quatre heures trente, a rappelé les alertes qui, à plusieurs reprises, auraient pu stopper cette hécatombe, mais aussi les difficultés pour le corps médical à en saisir le sens. Les pistes de malfaçons de poches, d’interaction médicamenteuse, de réaction allergique, de malformations cardiaques ont été tout à tour explorées, en vain.
Ce n’est qu’en janvier 2017, après une énième intervention miraculeuse de Frédéric Péchier sur une patiente empoisonnée au potassium, que l’alerte est donnée. Pour de bon, cette fois. D’autres surdosages manifestes avaient été identifiés au fil des ans, et des enquêtes ouvertes, sans coupable désigné.
L’empoisonneur a su savamment brouiller les pistes, en mélangeant les produits utilisés, les confrères touchés, et en utilisant très souvent des poches de soluté (dénuées de médicament), qui ne sont d’ordinaire pas saisies en cas de problème. Un manque sur lequel la défense compte bien s’appuyer pour contester les nombreuses expertises prévues.
On imagine d’ailleurs sans peine le vertige des douze jurés — leur nombre a été doublé en cas de défaillance — embarqués jusqu’à Noël dans cet univers d’initiés, dont le jargon émaille ce dossier tentaculaire.
« J’aurai les arguments pour éviter d’aller en prison »
Ils pourront aussi se raccrocher à leur bon sens, grâce à d’autres éléments : des chronologies troublantes dans la survenue des complications, les conflits entretenus par le Dr Péchier avec certains collègues, voire son intention claire d’en voir partir certains. Sept des trente cas concernent ainsi une seule et même anesthésiste, jugée trop vieille.
À défaut de l’avoir beaucoup entendu ce lundi au micro de la cour d’assises, les parties civiles ont pu longuement l’écouter sur RTL, dans un entretien pré-enregistré et diffusé à moins de deux heures de l’ouverture du procès. Il s’y défend pied à pied, qualifiant l’accusation de « romance », et ne s’estime donc « pas responsable » de la détresse des familles.
La prison ? « Évidemment ça me fait peur, mais je pense que j’aurai les arguments pour éviter d’y aller. » À l’issue de cette journée aux airs de veillée d’armes, Me Stéphane Giuranna, avocat de parties civiles, a prévenu : « Demain, le plus dur commence : tous les chemins mènent à Péchier. »





