Procès de l’anesthésiste Péchier, accusé d’empoisonnements : « Jusqu’en 2017, c’était le crime parfait »

Au procès de l’anesthésiste Frédéric Péchier, jugé pour trente empoisonnements, le directeur d’enquête a longuement détaillé comment les soupçons s’étaient accumulés et la complexité de cette affaire inédite.

Besançon (Doubs), ce mardi.  Frédéric Péchier (photo) était omniprésent dans l’enquête des policiers. « On ne cherchait pas sa présence mais elle nous tombait dessus, son nom revenait systématiquement », confie Olivier Verguet, le directeur des investigations. AFP/Sébastien Bozon
Besançon (Doubs), ce mardi. Frédéric Péchier (photo) était omniprésent dans l’enquête des policiers. « On ne cherchait pas sa présence mais elle nous tombait dessus, son nom revenait systématiquement », confie Olivier Verguet, le directeur des investigations. AFP/Sébastien Bozon

La partie d’échecs a démarré. Après une première journée consacrée à l’installation de la cour d’assises du Doubs dans un procès marathon prévu sur plus de trois mois, ce mardi, les débats sont entrés dans le vif du sujet. Et leurs acteurs — policiers, avocates générales, parties civiles et défense — ont commencé à pousser leurs pions.

Durant de longues heures, le directeur de cette enquête hors normes, Olivier Verguet, a détaillé le cheminement qui a mené la police judiciaire (PJ) de Besançon à suspecter Frédéric Péchier de deux empoisonnements survenus à la clinique Saint-Vincent en janvier 2017. Puis, d’année en année, de remonter à trente cas, dont douze mortels. « Je n’imaginais pas l’ampleur de la tâche qui allait être la nôtre », a-t-il expliqué.



Très vite, une évidence s’impose : les arrêts cardiaques incompréhensibles de Sandra Simard, 36 ans et Jean-Claude Gandon, 70 ans, survenus à neuf jours d’intervalle en janvier 2017, « ne souffrent aucune contestation au plan criminel ». Des poches d’injection trouées ont été retrouvées, les deux patients ont été intoxiqués avec des produits dangereux à des doses massives.

Dans les blocs opératoires aseptisés, pas d’ADN ni d’empreintes à relever

Sont-ils les seuls ? Les soignants de la clinique, un par un, lèvent la main et signalent d’autres cas suspects, parfois mortels, qui n’ont jamais trouvé la moindre explication. Voilà les enquêteurs de la PJ propulsés dans un univers dont ils ignorent tout, à commencer par le déroulement d’une anesthésie.

Les méthodes d’enquête traditionnelles ne leur sont d’aucun secours : les blocs opératoires sont aseptisés, les soignants portent des gants, pas d’ADN ni d’empreintes digitales à relever. « La scène de crime, elle n’existe pas ».

L’arme, ce sont des médicaments, dont les effets sont bien plus complexes à analyser qu’une blessure au couteau ou le calibre d’une arme à feu. De fait, ils seront multiples, et utilisés de manière à en dissimuler les effets : « Jusqu’en 2017, c’était le crime parfait », convient l’enquêteur.

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Quant aux indices recueillis, les « séquestres » dans le jargon, ils sont aléatoires et partiels. Olivier Verguet se souvient d’une armoire contenant une vingtaine de boîtes « confectionnées à la hâte, avec le nom de chaque patient ». Mais aussi de sacs contenant le matériel de plusieurs opérations, en vrac, avec un risque de pollution. « Nous avions parfois des poches d’injection, des seringues, des ampoules, mais pas toujours. »

Les enquêteurs confrontés au secret médical et au devoir de confraternité entre soignants

Avec ce puzzle, et l’aide d’un professeur d’anesthésie de l’hôpital de Besançon, les enquêteurs reprennent ensuite leurs vieux réflexes. Interroger, recouper, établir des similitudes et un mode opératoire. Mais deux écueils les guettent : le secret médical et le devoir de confraternité entre soignants. « Au départ, se souvient-il, le discours c’était : non il se passe rien tout va bien dans le meilleur des mondes ».

Pour contourner le problème, ils décident de « brancher » (mettre sur écoute) une vingtaine de personnes parmi les cadres de la clinique, les anesthésistes, le Dr Péchier et sa famille. Ses interventions miraculeuses à répétition, son attitude étrange sur le dernier cas — le seul à l’avoir touché en tant qu’anesthésiste — font de lui, déjà, un suspect. Il n’y en aura jamais d’autre.

« On ne cherchait pas sa présence, mais elle nous tombait dessus, son nom revenait systématiquement », se défend Olivier Verguet, conscient que la défense en fera un axe de contestation.

À la manière d’un entonnoir, les éléments convergent tous vers le Dr Péchier : sa présence quasi systématique lors des complications, souvent dans le bloc d’à côté, ses diagnostics ultraprécoces et improbables — parfois différents alors que les signes du patient étaient les mêmes —, faisant de lui un génial sauveur. Pas de preuve formelle, mais une accumulation de coïncidences qui interrogent. Le qualificatif de « surprenant » est revenu à maintes reprises.

« Un sentiment d’impunité » de l’anesthésiste

En croisant avec les écoutes téléphoniques de Frédéric Péchier, les limiers de la PJ comprennent aussi qu’il se croit à l’abri, pensant que seul l’anesthésiste en charge sera suspecté. « Un sentiment d’impunité » qui se double d’une forme de supériorité, jusqu’en garde à vue où les policiers rament un peu face à ses explications techniques.

Face à la « psychose » à la clinique et à l’urgence d’éviter un nouveau décès, ils n’ont en effet pas eu d’autre choix. Le 4 mars 2017, à peine revenu de vacances et « quasiment à sa descente d’avion », Frédéric Péchier est entendu… D’abord sans avocat, même si quinze jours plus tôt, il a entamé des démarches en ce sens.

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Au téléphone, il devisait alors sur l’existence à la clinique de « quelqu’un qui est néfaste, qui met des trucs dans ce qu’on utilise », bref, d’un empoisonneur. Mais devant les enquêteurs, son discours est tout autre : tous ces cas ou presque seraient de grossières erreurs médicales, et le seul empoisonnement serait celui dont lui a été victime.

« Il parle d’incompétences et d’erreurs de ses confrères, mais après sa garde à vue, il n’y a plus de cas suspect… Cela supposerait donc que ses collègues soient d’un seul coup devenus pertinents dans leurs anesthésies », relève Olivier Verguet, pointant les variations dans sa défense.

Frédéric Péchier a aussi, au début de l’affaire, montré à des infirmiers éberlués comment polluer une poche d’injection très discrètement, et en a même fait faire la démonstration à son avocat, Me Randall Schwerdorffer, à des magistrats et journalistes.

« Qui avait accès aux chariots d’anesthésie ? Tout le monde ? »

Une contradiction dans laquelle s’engouffre Me Frédéric Berna, avocat de parties civiles. « Quelle logique y a-t-il à démontrer comment on empoisonne une poche alors qu’on soutient finalement que ce ne sont que des accidents ? » L’enquêteur opine.

Me Stéphane Giuranna, à sa suite, rappelle que quatre cas, survenus en 2008 et 2009, avaient déjà fait l’objet d’une enquête de la PJ, sans jamais aboutir. « Dans le PV de synthèse, il y a un nom qui sort, lequel ? » « Le Dr Péchier », confirme le policier.

Alors que les deux avocates générales s’étaient évertuées à conforter le sérieux de l’enquête, la défense a, elle, commencé son travail de sape. « Qui avait accès aux chariots d’anesthésie ? Tout le monde ? » « Qu’a donné l’enquête sur la destruction de matériel pour 50 000 euros, pendant les vacances de M. Péchier ? » « On n’a pas pu établir de rapprochements », répond l’enquêteur, un peu mal à l’aise. « Vous faites des rapprochements quand ça vous arrange », tacle Me Schwerdorffer, annonçant encore bien d’autres points problématiques, qui seront abordés ce mercredi, pour la suite de l’audition d’Olivier Verguet.