Épisode 2
Tour de France : comment Pogacar est devenu le porte-étendard du « sport washing » des Émirats arabes unis
Pogacar, le nouveau boss Ép. 1/4



Le 26 juillet 2025 à 12h00, modifié le 27 juillet 2025 à 10h03

Le Slovène va remporter ce dimanche un quatrième Tour de France, à seulement 26 ans, ce qui le rapproche à une longueur seulement des recordmans Anquetil, Merckx, Hinault et Indurain. Le Parisien vous propose de (re)découvrir ce personnage singulier, au caractère affirmé et à l’ambition débordante, dont la domination est escortée de son lot de doutes et de suspicions.
Battu, Tadej Pogacar se met à pleurer de rage sur son vélo. Vous ne rêvez pas, cette scène a bien existé. Pas en 2025, pas au sommet d’un col des Alpes envahi de public, comme ce vendredi à La Plagne. Mais une quinzaine d’années plus tôt, sur des routes désertes de la banlieue de Ljubljana, en Slovénie. Celui qui est en passe de gagner son 4e Tour de France, de dépasser Bobet et LeMond, d’égaler Froome, de s’approcher à une victoire du record d’Anquetil, Merckx, Hinault et Indurain, a commencé le vélo par des défaites.
À 10 ans, le jeune Tadej voulait faire du cyclisme comme son grand frère Tilen, sauf qu’il lui rend deux ans et quelques centimètres. Le vélo offert à son inscription au club local de Ljubljana est trop grand pour lui, les premiers résultats tardent à venir. « On a commencé ensemble à 12, 13 ans, j’étais meilleur que Tadej parce que j’étais un peu plus grand que lui, raconte Ziga Jerman, son compagnon d’entraînement à l’époque. Il était vraiment petit au début, il se battait juste pour finir les courses. Comme il se bat encore maintenant sur le Tour… »
Avec un tout autre résultat. Mais toujours avec le même camarade. Car Ziga est encore là. L’ami d’enfance du champion est devenu l’un des hommes à tout faire de son équipe UAE. Quand Ziga Jerman a décidé d’arrêter le vélo, faute d’avoir pu percer chez les pros, il se reconvertit dans la logistique pour les équipes.
Pogacar, devenu entre-temps le maître du cyclisme mondial, n’a pas oublié son vieil ami en galère. Jerman rejoint UAE l’an dernier. Venant ainsi gonfler le premier cercle de proches du maillot jaune, sa famille d’origine, la galaxie slovène. Avec ses parents, Marjeta et Mirko, sa fiancée, Urska Zigart, cycliste pro chez Soudal. Le photographe Alen Milavec, qui le suit depuis ses débuts, en fait aussi partie. « On est comme une famille », assure le jeune artiste devenu un ami.
Dans la tribu, on trouve encore son directeur sportif historique, Andrej Hauptman. L’ancien coureur se souvient aussi du petit Tadej « deux têtes en dessous des autres », quand il l’a vu gagner ses premières courses en Slovénie. La présence de Hauptman dans l’équipe UAE, alors que Pogacar n’a que 19 ans et n’est pas encore « Pogi », rassure les parents du jeune espoir, qui vient de gagner le Tour de l’Avenir en 2018.
« Ces premières années, quand il était jeune, c’était important pour lui d’avoir des Slovènes, explique Hauptman. Mais depuis, l’équipe s’est internationalisée, le staff et les coureurs viennent de partout. Pour lui maintenant, de Slovénie ou d’ailleurs, c’est la même chose. »
La galaxie Pogi est désormais à l’image de son équipe : internationale. Avec huit nationalités pour autant de coureurs cette année sur le Tour, UAE Emirates est l’équipe la plus cosmopolite du Tour. Ce qui fait sa force. « Quand il y a un tel mix, ça évite les clans, estime Pavel Sivakov, le Français (d’origine russe) de la bande. Et ça, ça joue beaucoup sur un Grand Tour, quand tu passes un mois ensemble. » Le champion slovène a su fédérer son équipe autour de lui.
« C’est vraiment quelqu’un de relax, sans pression, très agréable à avoir à ses côtés au quotidien, insiste Sivakov. Sur le Tour 2024 déjà, on s’amusait sur le vélo, et aussi en dehors, on a beaucoup rigolé. » Les blagues ont continué de fuser sur le groupe WhatsApp de cette Grande Boucle pendant toute l’année. Sur ce Tour 2025, l’ambiance est toujours au beau fixe. « Ses coéquipiers, ce sont d’abord ses copains, assure Mauro Gianetti, le boss de l’équipe. Ils ont bâti cette ambiance autour des deux stages en altitude. »
Au centre de cette galaxie UAE, l’étoile Pogi brille et le manager suisse veille. Depuis ses débuts, Mauro Gianetti couve son champion. Répondant avec le sourire et dans toutes les langues aux médias du monde entier, désamorçant les polémiques, évitant les questions qui fâchent, lui qui a déjà eu à répondre de soupçons de dopage, en tant que coureur en 1998, puis en tant que manager en 2008. Quitte à user et abuser de la langue de bois.
Dans ce premier cercle face aux médias, Pogi compte aussi sur Luke Maguire, l’attaché de presse qui le suit depuis la Vuelta 2019, où il s’est révélé à 19 ans (3e). « Il avait déjà avec un énorme talent, raconte l’Irlandais. Et chaque année, il a progressé, il a mûri. Physiquement, et en tant qu’homme. Même si sa vie a changé, parce qu’il est devenu une personnalité du sport mondial, dans le fond, il est resté le même. Il garde les pieds sur terre. Ses valeurs, son attachement familial, tout ça n’a pas changé. »
En revanche, les sollicitations ont explosé. Pogacar a dû s’y adapter. « Sa communication a progressé, en particulier ces dernières années, souligne Luke Maguire. Il est plus direct, plus clair. Il était toujours gentil, maintenant il est plus décidé. Il sait mieux se préserver, y compris vis-à-vis du public, qui est toujours en demande de photo ou autre. Il sait mieux gérer son énergie, sur le vélo et en dehors ».
Dans le cercle des dirigeants proches du prodige, Alex Carera est peut-être celui qui le connaît le mieux. L’Italien a repéré le prodige en 2018, pour ne plus le lâcher. C’est lui qui négocie les contrats, comme cette prolongation record avec UAE jusqu’en 2030. Lui qui s’offre, par exemple, une entrevue en pleine journée de repos avec son champion, où seule est conviée Urska Zigart, sous contrat aussi avec Carera.
La fiancée du Slovène a sa propre carrière à gérer, mais ne manque pas une occasion de retrouver son champion. Elle était la seule compagne de coureur à s’inviter à la table de l’équipe pendant le second jour de repos sur ce Tour. Signe du rôle particulier qu’elle occupe auprès de Pogi. Dans les multiples cercles qui entourent celui qui peut devenir le meilleur coureur de l’histoire, Urska Zigart est à coup sûr au premier rang.
Ce quotidien avec elle dans leur appartement à Monaco, qu’ils affichent sur les réseaux sociaux, semble parfois lui manquer. « Je ne sais pas si j’ai envie de passer encore un mois loin de la maison », a-t-il répondu en début de Tour quand on lui demandait s’il allait participer à la Vuelta. En principauté, Pogi coule une vie paisible, s’offre quelques sorties vélos avec des sportifs du coin, comme le pilote de F1 Carlos Sainz Jr, sans pression. Dans un monde de stars et de champions. Sa nouvelle galaxie.


