Épisode 2
« On mangeait dans des prototypes » : la poêle antiadhésive Tefal… née dans une modeste cuisine de Sarcelles
Ces objets made in Ile-de-France Ép. 1/4



Le 11 août 2025 à 11h11, modifié le 15 août 2025 à 12h37

Le siège de l’entreprise est désormais installé porte de Clichy, à quelques encablures de la rue des Cailloux et du parc Marcel-Bich (1914-1994), dans les Hauts-de-Seine. C’est lui, qui donnera son nom à l’entreprise tricolore fondée juste après la Seconde Guerre mondiale, et initialement baptisée PPA pour « porte-plume, porte-mines et accessoires ». C’est aussi rue des Cailloux, que l’industriel visionnaire imagine un stylo à bille, améliorant un modèle conçu par un journaliste hongrois, László Biró.
Le premier Bic Cristal sort des usines en 1950. Pour être, soixante-quinze ans plus tard, le stylo le plus vendu au monde, soit 120 milliards d’unités vendues au total. Un objet du quotidien, qui a révolutionné l’écriture, grâce à une petite bille en poudre de carbure de tungstène qui diffuse l’encre grâce à un ingénieux système.
La bille — polie avec de la poudre de diamant — est sertie sur une pointe. Elle-même reliée à une cartouche d’encre préalablement centrifugée — pour ne pas couler — et le tout inséré dans un corps de forme hexagonale. Transparent évidemment, pour voir le niveau d’encre, et doté d’un petit trou au milieu pour contrôler la pression et ainsi permettre à l’encre de s’écouler.

Il faut exactement neuf jours pour produire un stylo Cristal. Jusqu’en 2000, une unité de production était implantée à Clichy, avant de déménager lors de l’ouverture d’une nouvelle usine à Montévrain (Seine-et-Marne). C’est de là que sortent 620 millions de stylos chaque année, tous modèles confondus. Mais aussi toutes les billes, qui seront ensuite acheminées partout dans le monde puisque l’entreprise a ouvert des usines en Afrique et en Amérique du Sud.
L’indémodable stylo doit en partie son succès à son prix : 1,49 euro les quatre, soit une couleur de chaque (bleu, noir, rouge et vert). Si le bleu, reconnaissable et inchangé depuis 1950, reste le plus vendu, les autres coloris existaient dès sa création. C’est aussi grâce à une décision politique que le Cristal est devenu aussi populaire.
Le 3 septembre 1965, le gouvernement prend un décret autorisant les 11 millions d’élèves de l’époque à utiliser le stylo-bille classe. Peu à peu, il remplace le porte-plume et les taches sur les blouses disparaissent. Les enseignants adoptent, eux le coloris rouge pour corriger leurs copies. Tandis que les écoliers les plus turbulents transforment le stylo en sarbacane à boulettes en papier.
Comme si la marque avait anticipé cette petite révolution, c’est en 1961 que le logo Bic voit le jour : un petit écolier avec une tête en forme de grosse bille et un stylo orange dans le dos. C’est l’affichiste Raymond Savignac qui a créé ce personnage, toujours présent sur les emballages.

« Le Bic Cristal a donné tout son sens à notre mission : proposer des produits du quotidien simples, fiables et utiles. Il est utilisé à travers le monde pour apprendre à écrire, pour dessiner, pour écrire une liste de course ou bien un roman », souligne Henri Nicolau, directeur général de Bic France, qui insiste sur le fait que le « stylo est produit en France et fait partie du quotidien depuis 75 ans ».
Le Bic Cristal a d’ailleurs assez peu évolué depuis sa création. En 1991, l’extrémité de son capuchon est percée, afin de minimiser les risques d’asphyxie en cas d’ingurgitation. Et son embout est bien plus difficile à enlever pour les machouilleurs compulsifs. Visuellement, le Cristal reste identique. Il est juste un peu plus léger (5,8 g). Ainsi, en 1950, une tonne de plastique permettait de produire 168 000 stylos. Aujourd’hui, avec une tonne de plastique, l’entreprise fabrique 214 000 unités.
Au fil du temps, le Cristal et son design épuré suscitent de nouvelles attentions, avec des « collabs » comme tout produit culte. Dont les prix s’envolent comme le modèle version or serti de 254 diamants de la Maison Tournaire à 25 600 euros ! Plus accessible leur version en bronze (350 euros) et la version gainée cuir de la maison Pinel & Pinel (69 euros).
Contrairement aux idées reçues le Cristal n’est pas un stylo jetable mais peut être rechargé. Encore faut-il aller au bout des 2 km d’écriture. Un challenge que relèvent de nombreux artistes qui ont fait du Bic un véritable outil de travail. En 2018, l’entreprise organisait même une grande exposition au Cent-Quatre-Paris, avec notamment la collection de Bruno Bich, qui avait repris l’entreprise en 1979 à la suite de son père.
Le légendaire stylo a même fait son entrée en 2001 dans les collections permanentes du MoMA (le célèbre musée d’art moderne) à New York avant d’intégrer en 2006, celles du musée national d’Art moderne Centre de création industrielle Georges Pompidou de Paris.
Quelques années après le stylo 4 couleurs, autre produit emblématique de l’entreprise, le Cristal a lui aussi succombé à la mode de la personnalisation. Depuis fin 2024, son corps transparent devient un support. Tout d’abord pour la série Netflix Astérix et depuis quelques semaines pour les clubs de football du PSG et de l’OM. La version parisienne est déjà collector et en rupture de stock.